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Les rites d’entrée dans le Carême, en Orient et en Occident
N.B.: en raison de l’épidémie, le rituel indiqué pour le lundi est modifié. Se reporter aux informations
L’Eglise a commencé il y a 3 semaines sa « montée vers Jérusalem » qui la conduira à Pâques, en suivant le Christ pas à pas, dans Sa Passion, Sa mort et Sa résurrection. Mais, pour monter, c’est-à-dire ressusciter en Christ, il faut d’abord descendre, en acceptant la mort, qui est une conséquence de notre péché et un jugement divin, et donc en nous repentant. Nous allons passer dimanche prochain à un degré supérieur de cette montée spirituelle, en célébrant la porte d’entrée dans le Carême, qui est, dans le rite byzantin, le dimanche du Pardon, une véritable kénose[1] liturgique.
L’ascèse[2] la plus importante du Carême est de cultiver le repentir. Se repentir, c’est regretter amèrement le mal que nous avons fait et le bien que nous n’avons pas fait, et en demander pardon à Dieu. C’est ce que nous allons faire ensemble après la liturgie du Pardon (4ème et dernier dimanche du Pré-carême byzantin, appelé aussi Dimanche de l’Expulsion d’Adam [du paradis]). Conformément au rite occidental[3], Le clergé se dévêtira de ses vêtements de lumière -les vêtements festifs- en mémoire de notre expulsion du Jardin d’Eden (parce que nos premiers parents découvrirent leur nudité spirituelle en perdant la lumière divine dont ils étaient revêtus) et se revêtira de deuil –le violet[4]– pendant que le choeur chantera quelques tropaires du canon pénitentiel de St André de Crête. Puis le prêtre fera la « confession générale », qui est celle de la communauté-Eglise et sa propre confession, et nous nous demanderons pardon mutuellement, les uns aux autres[5].
Il ne s’agit pas d’un geste formel, un « jeu de rôle », mais d’un « exercice » spirituel (c’est le sens du terme grec askêsis, ascèse) pour nous mettre tous en route vers le vrai repentir, face à Dieu. N’oublions pas que, lors du jugement dernier, comme le dit le rite byzantin, « les livres seront ouverts », c’est-à-dire que tout sera dévoilé. Mieux vaut dévoiler maintenant nos péchés, « tapis dans nos cœurs », et nous en repentir, tant que Dieu nous en laisse le temps, comme le fit le « Fils prodigue », lorsqu’il revint vers son Père, qui lui pardonna. C’est plus facile de notre vivant qu’après notre mort, car le corps est un élément précieux, objectif, de vérification spirituelle. Dieu, notre Créateur, qui est, par nature, la source du Pardon, nous l’offre toujours, mais nous ne pouvons le recevoir, « l’acquérir », que par la porte étroite du repentir. Et Il nous demande d’avoir, les uns par rapport aux autres, le même comportement qu’avec Lui, c’est à dire de nous pardonner mutuellement, ce qui correspond à la 5ème demande du Notre Père (…remets-nous nos dettes, comme nous aussi les remettons à nos débiteurs…)
Pendant les 40 jours de Carême qui vont suivre, nous allons nous « exercer » au repentir, en scrutant l’intérieur de nos âmes et en venant nous confesser devant un prêtre, qui représente le Christ, et qui a reçu de Lui le pouvoir divin d’absoudre les péchés. Les différentes ascèses du Carême sont là pour nous aider à changer, de vie et de comportement, c’est-à-dire dans notre coeur.
Le lendemain lundi sera le 1er jour du Carême, selon l’usage byzantin, c’est-à-dire oriental (en Occident le Carême commence le Mercredi des Cendres). Comme l’an dernier, nous pourrons célébrer notre 1er office de Carême dès lundi, grâce à la bienveillance du curé de Joinville, qui nous permet de célébrer un lundi soir.
Le premier rite sera l’imposition des Cendres, qui est une des richesses liturgiques de l’Occident : nous allons brûler les Rameaux de l’an dernier, symboles de notre gloire (les palmes de la victoire) perdue (l’exclusion du Paradis et la mort), bénir les cendres, puis nous les imposer sur le front, en signe d’acceptation du jugement divin et comme manifestation extérieure de notre repentir intérieur. C’est une image symbolique de la mort et de la résurrection. Le prêtre met son pouce dans les Cendres bénites et fait un signe de croix sur le front du fidèle à genoux en disant : « Homme, souviens-toi que la poussière retourne à la poussière et que l’esprit retourne à Dieu ».
C’est un rite qui est d’origine biblique (s’humilier « sous la cendre et le cilice » est une expression qu’on retrouve souvent chez les prophètes[6]). Dans l’Eglise antique, ce rite était lié à la réconciliation des pénitents[7], qui se faisait juste avant Pâques ; il fut ensuite étendu à tous les fidèles, au début du Carême, d’abord dans les pays rhénans[8] au 10ème siècle, puis dans toutes les Eglises d’Occident. Lorsque l’évêque Jean de Saint-Denis restaura une année liturgique selon l’ancien rite des Gaules au sein de l’Orthodoxie, à partir de 1944, il prit bien soin de conserver ce rite cher aux Chrétiens d’Occident, mais il introduisit en plus l’usage de la confession générale et du pardon mutuel, qui venait de l’Eglise russe. La compréhension de nos deux métropolites successifs, Séraphin et Joseph, nous a permis de conserver ces deux richesses liturgiques.
Ensuite, nous chanterons le grand canon de St André de Crête[9], puis nous dirons ensemble la prière de St Ephrem[10], qui sont deux chefs-d’œuvre spirituels de l’Orient. Nous disons la prière de St Ephrem sous sa forme dialoguée entre le prêtre et les fidèles, pour permettre au peuple de participer à la prière, et en nous prosternant 3 fois (ci-jointe en annexe). Les complies au sein desquels ces prières seront dites seront très abrégées, pour éviter que l’office soit trop long.
Bon et saint Carême !
Père Noël TANAZACQ
Annexe
Prière de St Ephrem le Syrien10
prière du grand carême
(sous sa forme dialoguée : les + indiquent les moments où l’on se signe)
Prêtre : Seigneur et Maître de ma vie, + l’esprit d’oisiveté, de découragement,
de domination et de parole facile,
Tous : éloigne de moi !
On se prosterne, sauf le dimanche, où l’on fait une métanie[11]
Prêtre : + l’esprit de pureté, d’humilité, de patience et de charité
Tous : donne à Ton serviteur !
On se prosterne…
Prêtre : + Oui, Seigneur et Roi, donne-moi de voir mes fautes et de ne pas juger
mon frère,
Tous : car Tu es béni dans les siècles des siècles. Amen.
On se prosterne…
(26-2-2017 ; 2018, 2019, 2020 et 2021)
[1] La kénose : du grec kenoô [ekenôsa] : vider, se vider, s’anéantir , que St Paul applique au Christ qui s’est « anéanti » en devenant esclave (Phi 2/5-11). Terme utilisé par les théologiens pour parler de l’abnégation divine, mais qui peut s’appliquer à l’Homme, image de Dieu.
[2] Le terme « ascèse », vient du grec grec askêsis, qui signifie « s’exercer à »: on s’exerce à devenir chrétien, à mettre en pratique les commandements du Christ, plus que pendant les autres moments de l’année liturgique.
[3] Dans le rite des Gaules restauré, cette cérémonie a lieu à la fin de la Septuagésime, parce que le Pré-carême est déjà considéré comme pénitentiel, et l’on passe alors du vert [couleur du temps après la Théophanie] au violet. Mais nous avons transposé cela au dimanche du Pardon, parce que nous sommes tenus de respecter l’ordo et l’esprit du cycle pascal byzantin.
[4] La couleur liturgique du violet représente symboliquement la pénitence, l’ascèse, la mort mais aussi la sagesse (la cappa magna des évêques orientaux est, en général, violette, et les évêques occidentaux portent un anneau violet au doigt). L’usage de la couleur noire pour les rites funéraires et une hétéropraxie [une hérésie de comportement] parce qu’elle symbolise l’anéantissement, l’Enfer (l’absence de la lumière divine).
[5] Cet usage provient de l’Eglise russe. Il nous a été transmis par l’évêque Jean de Saint-Denis (1905-1970).
[6] Comme par exemple chez Jonas lorsque Dieu l’envoya prêcher la repentance aux Ninivites (chap. 3), ou chez Job (2/8) et surtout en Judith 4/11, Esther 4/1-3, Isaïe 58/5 et Jérémie 6/26. Ce sera repris par le Christ lorsqu’Il fera de vifs reproches aux villes qui ne L’ont pas reçu (Mt 11/21).
[7] Il s’agissait de ceux qui avaient été excommuniés pour avoir commis des péchés publics graves (l’apostasie, le meurtre ou l’adultère,…) qui les excluaient de l’Eglise. Ils n’étaient réadmis à la communion qu’après une très longue « pénitence » publique. La Réconciliation des pénitents avait lieu le Jeudi Saint (à Milan, dans le rite ambrosien) ou le Vendredi Saint (en Espagne, dans le rite mozarabe) et consistait en une imposition des
mains par l’évêque, avec des prières pénitentielles, et en une réadmission à la communion eucharistique, à Pâques.
[8] Dans l’ancienne Germanie romaine (les 2 provinces de Germanie, qui se trouvaient sur la rive gauche du Rhin, faisaient partie de l’ancien « diocèse » civil des Gaules), qui était donc, au 10ème s., encore orthodoxe.
[9] St André de Crête (660-740) fêté universellement le 4 juillet: originaire de Damas, collaborateur du patriarche Théodore de Jérusalem, qui l’envoya à Constantinople apporter l’assentiment au 6ème concile œcuménique [Constantinople III, 680-681] contre le monothélisme ; il demeura dans la ville, puis devint archevêque de Gortyne, en Crête et lutta contre l’iconoclasme. Il fut un grand hymnographe et composa de nombreux « canons », qu’il fut le premier à introduire dans les offices byzantins. On dit qu’il a composé son grand canon pénitentiel pour se repentir d’avoir participé au concile de 712, imposé par l’empereur usurpateur et monothélite Bardanès, qui condamna le 6ème concile œcuménique. Il s’en repentit aussitôt après la destitution et la mort de Bardanès, en 713.
[10] St Ephrem de Nisibe, appelé aussi « le Syrien » (vers 306 – 373) était diacre (à Nisibe, puis à Edesse, en Syrie orientale, c’est-à-dire en haute Mésopotamie) et didascale [professeur de théologie]. C’est un Père de l’Eglise, de langue syriaque (araméen) : il a écrit, entre autres, un admirable commentaire de l’Evangile concordant (le Diatessaron). Il a été aussi un grand hymnographe, dont beaucoup de poèmes sont utilisés dans la liturgie. La grande prière du Carême qui lui est attribuée est un des trésors ascétiques de l’Orient. Il est fêté le 21 janvier en Orient et le 18 juin en Occident.
[11] Une « métanie » [du grec metanoia : conversion, repentance] est une inclinaison profonde, accompagnée souvent d’un toucher du sol, qui est une expression physique d’un « changement de pente », et donc de repentance.