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Nous allons entrer samedi soir dans les grands jours saints, les plus saints et sacrés de l’année liturgique, au cours desquels le Christ accomplit le salut du monde, c’est-à-dire de l’humanité et du cosmos.
Le premier grand office sera celui des Vêpres de la résurrection de Lazare, samedi en vigile des Rameaux, à 18h. Pourquoi cette fête et sous cette forme ? Pour des raisons théologique et liturgique.
Au plan théologique, la résurrection de Lazare1, l’ami du Christ, est extrêmement importante, non seulement en raison de la grandeur du miracle (le corps du défunt était en décomposition : « il sentait déjà », ce qui était une preuve de sa mort réelle et donc de sa résurrection, et le Seigneur l’a accompli devant une foule de gens1 venus de Jérusalem, toute proche1), mais encore parce que c’est cet évènement qui a provoqué directement la condamnation à mort du Seigneur par le Sanhédrin2.
Au plan liturgique, la fête de la Résurrection de Lazare fut empruntée par Constantinople à Jérusalem3 et devint une des richesses du rite byzantin, sous la forme d’une liturgie célébrée le samedi matin de la veille des Rameaux. L’Occident ignorait cet usage liturgique. Lors de la restauration d’une année liturgique occidentale au sein de l’Orthodoxie, à partir de 1946, l’évêque Jean de Saint-Denis (alors P. Eugraph Kovalevsky), considérant que c’était une déficience occidentale, emprunta cet usage à l’Orient et solennisa ce mystère sous la forme d’une messe de vigiles des Rameaux, le samedi soir, conformément à un usage liturgique universel (dont le modèle est Pâques). Et cet emprunt liturgique fut fortement approuvé par St Jean de Changhaï et San Francisco, lorsque ce dernier examina attentivement le rite des Gaules restauré (en 1961).
Mais il est inenvisageable, pour une petite paroisse comme la nôtre (et qui n’a pas la maîtrise de ses locaux), de célébrer une liturgie un samedi matin, ni même un samedi soir, lorsqu’il y a une liturgie diurne le dimanche. C’est pourquoi nous avons élaboré, depuis plusieurs années, des Vêpres occidentales de la Résurrection de Lazare (à partir des textes de la liturgie), mais en y incluant l’Evangile (qui est un des plus longs de l’année), suivi de l’Immolatio4 du propre (comme dans la liturgie occidentale des Présanctifiés).
Le dimanche qui suit, nous allons célébrer les Rameaux, appelés dimanche des Palmes en Orient (de même que dans les anciens missels latins5 gaulois et romains), ce qui est un terme plus significatif. Pendant des siècles, il n’y a rien eu de particulier, au plan liturgique, ni à Rome ni à Constantinople. Les rites spécifiques de cette fête viennent de Jérusalem, où les fidèles acclamaient l’évêque de la ville assis sur un âne : ils ont été ensuite empruntés (et adaptés) par le rite des Gaules. Ce n’est qu’à la fin du 1er millénaire que ces rites ont été adoptés par Rome, après l’interdiction du rite des Gaules par Charlemagne et lors de la fusion des deux rites dans le missel romain (courant 9ème s.). Tandis que dans le rite byzantin, il n’y a, jusqu’à nos jours, qu’une courte bénédiction des Rameaux, pendant les vigiles. Toutefois, le rite solennel de l’Entrée du Christ dans le temple (qui symbolise Jérusalem), est passé dans le rite byzantin, mais uniquement dans l’office de la dédicace d’une église, où il est à peu près le même que le rite gallo-romain des Rameaux.
Dans le rite des Gaules, on célèbre d’abord très solennellement la bénédiction des rameaux, dans l’église, au cours des Laudes, puis on sort dehors en procession et on referme les portes de l’église, dans laquelle restent les enfants. Ensuite, après un très beau chant composé par Théodulphe d’Orléans au 9ème s. (le « Gloria Laus…»)6, a lieu un dialogue entre le prêtre et les enfants, qui représentent simultanément les enfants de Jérusalem acclamant le Christ dans le Temple, et les anges acclamant le Christ lors de Son entrée dans le Temple supra-céleste, à l’Ascension (il y a une analogie entre les deux fêtes), basé sur le psaume 23 (He 24), qui est un des trois psaumes des Rameaux. Enfin le prêtre, suivi par tous les fidèles, entre solennellement dans l’église, symbolisant l’Entrée du Christ à Jérusalem. Et l’on enchaîne sur la liturgie (qu’il serait plus logique de célébrer en rite occidental).
Nous commencerons la bénédiction des rameaux vers 10h15. Il est important que les parents viennent avec leurs enfants (et adolescents). Il y aura des rameaux pour tout le monde, mais vous pouvez aussi en apporter de votre jardin (du buis, parce que c’est l’usage, mais aussi du laurier en raison de son caractère symbolique7). Après la liturgie, vous pourrez ramener vos rameaux bénits dans vos maisons : ils sont une protection spirituelle.
Pour les deux fêtes que nous allons célébrer, le clergé sera en vêtements rouges, conformément à la tradition occidentale, parce qu’elle est la couleur des rois [la pourpre des empereurs romains] et que le Christ est acclamé comme Roi d’Israël.
Père Noël TANAZACQ
1) D’après la tradition, représentée par les hagiographes anciens, du 4e au 16e s. (et surtout par Rabban Maur, au 9e s.), confirmée par les visionnaires, du 18e au 20e s., Lazare appartenait à une famille riche et puissante : son père, prosélyte syrien, avait été gouverneur d’Antioche, la capitale et la plus grande ville de l’Orient romain, et sa mère était une juive de lignée royale : ils étaient protégés par les autorités romaines. Cela explique la foule venue à son tombeau (tous les gens importants de Jérusalem). Lazare, qui était d’une grande noblesse et très cultivé (de culture hellénique, provenant de son père) fut un grand ami du Christ, de même que ses deux sœurs, Marthe et Marie. Il aidera considérablement le Seigneur dans Sa mission, par ses biens (propriétés, argent) et par ses relations. Béthanie, qui se trouve à l’Est du mont des Oliviers, à environ 3km de Jérusalem, était une de ses nombreuses propriétés, où Marthe résidait en permanence, tandis que Marie résidait plus souvent dans sa propriété de Magdala, au bord de la mer de Galilée. Le Christ trouvera souvent refuge à Béthanie, chez Ses amis, où « les Juifs » (c’est-à-dire ceux du Sanhédrin) n’osaient pas s’aventurer, par crainte des Romains. Selon Epiphane de Salamine (4e s.), Lazare aurait eu 30 ans lors de sa mort et de sa résurrection, et il aurait vécu encore 30 ans après. Les visionnaires confirment la venue en Gaule de Lazare, Marthe et Marie (affirmée par la tradition, mais rejetée par les hagiographes modernes), fuyant les persécutions contre les Chrétiens, et le fait qu’il aurait été le 1er évêque de Marseille. Deux pèlerins gaulois du 4e s., ainsi que St Jérôme (fin 4e-début 5e s.) signalent son tombeau (vide) à Béthanie. Il est fêté le 17 décembre en Occident, en tant qu’évêque de Marseille, et le 17 octobre en Orient (translation de ses reliques de Chypre à Constantinople, au 9e s.( ?). Mais je n’ai trouvé aucune fête de lui, stricto sensu, dans les calendriers orientaux, ce qui est bien étonnant.
(2) Le Sanhédrin était l’instance suprême juive, religieuse et politique, composé de 71 membres et présidé par le Grand-Prêtre. Il se réunissait deux fois par semaine dans le Temple de Jérusalem.
(3) Les fêtes liturgiques en l’honneur de la Résurrection de Lazare, à Béthanie même, sont attestées à la fin du 4e s. par la pèlerine gauloise Egérie (ou Ethérie).
(4) L’immolatio gallo-romaine correspond à la préface romaine ou à l’anaphore byzantine. Mais elle n’est pas suivie du Sanctus de la liturgie eucharistique, puisqu’il s’agit de vêpres, mais du Sanctus du rite des Gaules post-Evangile (tiré de l’Apocalypse), comme on le fait lors des Présanctifiés occidentaux.
(5) Domenica in palmis (sacramentaire gélasien) ou ad palmas (sacramentaire grégorien), appelé aussi parfois « dimanche de l’Hosannah ».
(6) Théodulf d’Orléans (vers 755- vers 820) était originaire d’Espagne, dont l’Eglise célébrait un rite proche de celui des Gaules, le rite dit mozarabe, ou wisigothique, qui est en fait le rite hispano-romain. Conseiller religieux de Charlemagne, il fut un piètre théologien, soumis aux exigences de l’empereur, mais un bon liturge, car il était poète. L’hymne « Gloria laus et honor tibi… » (« Gloire, louange, honneur à Toi, ô Christ Roi rédempteur… ») est un chef d’œuvre.
(7) Le laurier est un symbole de victoire (la « couronne de lauriers »). Bien que les palmiers ne poussent pas sous nos latitudes, nous tenons beaucoup à avoir toujours quelques palmes, car elles symbolisent le martyre et la victoire du Christ.
(avril 2011 ; rev. en 2013,2014, 2015,2016 et entièrement rev. et augm.en 2017; légèrement corr. en 2018)