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Ce terme, spécifiquement occidental, vient du latin « adventus » : avènement. C’est le temps liturgique qui prépare à l’Avènement du Seigneur, c’est-à-dire à la fête de Noël (dérivé du latin « natalis », naissance).
A l’origine, et pendant assez longtemps, la seule fête chrétienne célébrée liturgiquement était Pâques, avec toutes ses fêtes satellites : avant Pâques (la Semaine Sainte) et après (l’Ascension et la Pentecôte). Mais, après la « Paix de l’Eglise » (en 313, en Occident et 324, en Orient)), c’est-à-dire à la fin des persécutions, les rites se sont considérablement enrichis : on a fêté aussi tous les évènements concernant la vie terrestre du Seigneur, et en premier lieu Noël. Mais l’Orient et l’Occident ont évolué différemment, comme dans presque tous les domaines de la vie liturgique.
– L’Orient, qui est centré sur la Divine Trinité (et la Résurrection du Christ), est synthétique et intemporel : il a d’abord commémoré ensemble toutes les fêtes de l’Avènement du Seigneur le 6 janvier (ancienne date du solstice d’hiver) : Nativité du Christ, Adoration des mages, Baptême du Christ, Noces de Cana, etc…C’était ce qu’on appelait la « fête des Lumières » en Alexandrie. Mais à Constantinople et à Jérusalem, on a fini par distinguer deux groupes de fêtes : celles de « Noël » (Naissance du Seigneur et Adoration des mages), le 25 décembre1 et celle de la Théophanie (Baptême du Seigneur et manifestation de la Trinité), le 6 janvier. C’est l’état à la fin du 4ème siècle. Mais ces fêtes n’ont jamais donné lieu à l’établissement d’un cycle liturgique spécifique et sont demeurées des « fêtes fixes », comme par exemple celles de la Transfiguration, de la Mère de Dieu (pour celles non liées au Christ), ou des saints et dont on trouve les textes dans le « Ménologe2 », où elles sont classées par mois, puis par jours. Le seul cycle de l’année liturgique est toujours demeuré le cycle pascal, qui est mobile (lié au calendrier pascal, qui est lunaire [lié à la Pâque juive], et donc très variable).
– L’Occident, qui est centré sur l’Incarnation du Verbe (et évidemment sur Noël), est analytique et historique : il a fêté successivement toutes les « théophanies3 » : la Nativité du Christ le 25 décembre (dès 354 à Rome), les Saints Innocents le 28 décembre, l’Adoration des Mages ou Epiphanie3 le 6 janvier, le Baptême du Christ [Théophanie3] le 13 janvier (à l’octave de l’Epiphanie3), les Noces de Cana (le dimanche qui suit)… Petit à petit, tout un cycle des théophanies s’est constitué, copié sur le cycle pascal. Cela explique que l’Occident ait deux cycles liturgiques, bien distincts, celui de Noël (ou des théophanies), qui est fixe, et celui de Pâques, qui est mobile, et qui sont regroupés sous le nom de « Temporal » [liturgies concernant le temps du salut]. A cela s’ajoutent des fêtes fixes (du Seigneur, de la Mère de Dieu, des Saints : voir ci-dessus) regroupées sous le nom de « Sanctoral4 ».
Au plan liturgique, la fête de Noël a été copiée sur celle de Pâque, en Orient comme en Occident. Leurs vigiles respectives ont la même structure. Il en a été de même pour les préparations : de même que, petit à petit, un carême s’était constitué pour se préparer à Pâques (on est passé progressivement de 2 jours de jeûne -Vendredi et Samedi Saints – à 40 jours, probablement sous l’influence du monde monastique), de même on a instauré un carême de préparation à Noël. Mais en Orient, il s’est agi d’un simple jeûne (le « Carême, ou jeûne, de la Nativité », qui commence toujours le 15 novembre, soit 40 jours avant le 25 décembre), sans implication liturgique, à deux exceptions près5, tandis qu’en Occident, en plus de ce jeûne, qui était moins rigoureux que celui du « Grand Carême », on a élaboré des rites propres à l’Avent. C’est tout un cycle liturgique qui s’est ainsi constitué, avec des chants et des prières propres. Ces rites sont à peu près fixés vers le 6ème siècle (sauf à Rome où ils sont un peu plus tardifs : les formulaires seront en grande partie élaborés et fixés entre le 6ème et le 8ème siècles, avec une merveille, les grandes antiennes « Ô » des Noms divins6, les 7 jours précédant Noël). Le début de l’Avent occidental est variable, en fonction du jour de la semaine où tombe le 25 décembre7, parce qu’il commence toujours un dimanche (en fait un samedi soir, en vigile).
Lorsque l’évêque Jean de Saint-Denis (1905-1970) et ceux qui oeuvraient avec lui – dont son frère Maxime, compositeur et liturge- ont restauré une année liturgique orthodoxe de rite occidental (à partir de 1945, car les travaux antérieurs avaient concerné essentiellement la liturgie elle-même, celle des Gaules) ils ont pris bien soin d’y intégrer toutes ces richesse antiques, en y ajoutant un emprunt fait à l’Orient, le dimanche précédant Noël (outre la lecture de la Généalogie selon St Matthieu, ils ont élaboré un office du « Doute de Joseph » en rassemblant toutes les stichères de la paramonie de Noël le concernant – cf. note 5). Et ils ont restauré l’usage gallo-romain des six dimanches (40 jours) de l’Avent, car le rite romain n’en compte que quatre (environ 21 jours) sans que les liturgistes sachent pourquoi. La préparation à Noël est donc en Occident simultanément liturgique et ascétique, ce qui est une richesse spirituelle.
Ce temps liturgique de l’Avent comporte de nombreux éléments remarquables. Citons-en quelques un :
– On chante le Benedictus (cantique de Zacharie) chaque dimanche (il n’est presque jamais chanté dans l’année liturgique byzantine8).
– On lit à chaque liturgie le prophète Isaïe (celui qui a fait la prophétie de l’Emmanuel), et sur un ton particulier, très orné, différent du ton habituel de l’Ancien Testament (dans le rite byzantin, on ne lit jamais l’Ancien Testament au cours de la liturgie ; il est lu seulement aux Vêpres, et, dans l’usage actuel, seulement la veille des fêtes).
– On mentionne les Justes de l’Ancienne Alliance dans les diptyques, avant ceux de la Nouvelle Alliance (cela provient probablement du canon byzantin des deux dimanches précédant Noël, ceux des Ancêtres et des Pères).
– On revêt les ornements violets, parce que c’est la couleur liturgique des préparations et de la pénitence (ainsi que de la sagesse).
En outre, cette période comporte une dimension eschatologique, car l’Occident chrétien y a vu, non seulement la préparation à la fête du Premier Avènement (Noël), mais aussi une préparation au Deuxième Avènement, le retour du Christ en gloire à la fin des temps, avec deux caractéristiques liturgiques :
. on mentionne le Deuxième Avènement dans l’Anamnèse (et seulement dans cette période de l’année, tandis que dans le rite byzantin « intemporel », il est toujours mentionné, parce qu’on considère que tout est déjà accompli)
. on lit, durant les trois premières semaines de l’Avent, tous les Evangiles concernant la prophétie du Christ sur la Fin des temps9 (rapportée par les trois Synoptiques) et qui ne sont jamais lus le dimanche dans le rite byzantin.
Enfin, il faut mentionner la forte présence de St Jean Baptiste, dans la seconde moitié de l’Avent (tous les Evangiles sont centrés sur lui et sur son message, ce qui correspond exactement au sens spirituel de l’Avent), alors que dans le rite byzantin, il n’est mentionné qu’à la Théophanie, ponctuellement (le jour même et le lendemain).
Toutes ces considérations liturgiques et théologiques nous rappellent que l’Orient et l’Occident sont complémentaires, conformément au dessein de Dieu : nous avons tous besoin les uns des autres ; chaque peuple, chaque culture, chaque nation, chaque personne a sa place et sa fonction dans le Corps du Christ et y apporte sa richesse. Lorsque le Comité inter-épiscopal orthodoxe de France a interdit la pratique du rite occidental en 199510, contre l’avis de notre métropolite Séraphin et en son absence -ce qui était malhonnête et allait à l’encontre de la conciliarité- , il a fait une profonde erreur ecclésiologique et pastorale, car « l’Orthodoxie n’est pas un rite : elle comprend tous les rites »11 dans une symphonie eschatologique.
La tonalité de l’Avent est l’attente, l’attente joyeuse de la venue du Messie, le Christ. Evitons de « faire Noël » avant Noël, ce qui est très difficile dans notre société occidentale12. Laissons les bonnes nourritures, les parements de fête, les cadeaux pour la nuit du 25 décembre. Car notre vrai cadeau, c’est le Christ. Attendons que l’Epoux céleste soit parmi nous pour Le fêter.
Père Noël TANAZACQ
Notes
(1) Probablement sous l’influence de Rome, qui fêtait Noël le 25 décembre au moins depuis 354. Elle fut introduite, à cette date du 25 décembre, à Antioche vers 375 et à Constantinople vers 380.
(2) Ménologe : du grec mênos, mois : il y a un livre par mois, et les fêtes sont classée aux jours du mois. On y trouve une notice sur la fête (ou le saint), ainsi que toute son hymnographie. C’est un véritable livre liturgique, différent des Recueils de vies de saints qu’on trouve en Occident.
(3) Epiphanie et Théophanie. Epiphanie : du grec epihaneia, apparition soudaine, manifestation (céleste) ; terme utilisé par les païens pour toute manifestation des dieux ou des esprits ; il sera repris par les Chrétiens, notamment pour désigner la manifestation de Jésus comme messie, le jour de Son Baptême. Théophanie : du grec chrétien theophaneia, apparition ou manifestation de Dieu ; celle qui est la plus explicite est la « Théophanie », manifestation de la Trinité lors du baptême du Christ. Mais on peut aussi appeler « théophanies » toutes les manifestations du Christ. En Orient, on utilise les deux termes, l’un pour l’autre. En Occident, pour éviter toute confusion, il vaut mieux réserver « Epiphanie » à l’adoration des mages [manifestation du Christ aux gentils] et Théophanie au baptême du Christ [manifestation de la Trinité]. Mais on peut aussi dire « les théophanies » pour toutes les manifestations du Christ en tant que Messie et Dieu.
(4) Le Sanctoral occidental correspond au Ménologe oriental (contenu et utilisation) : voir note 2.
(5) Il y a, dans le rite byzantin, deux éléments liturgiques pour la préparation à Noël :
– durant tout le carême de l’Avent, les catavasia [tropaire final de chaque ode] du canon des matines sont les hirmi [tropaire initial de chaque ode] de Noël. C’est un bel exemple du caractère intemporel (éternel) du rite byzantin, qui considère que tout est déjà accompli.
– les deux dimanches avant Noël sont consacrés, le 1er aux « Ancêtres » mais qui sont en fait la lignée des justes qui ont préparé le venue du Messie, et le 2ème aux « Pères », qui sont en fait les ancêtres biologiques du Christ : ce jour-là, on lit la Généalogie du Christ (selon St Matthieu) et le « Doute de Joseph », qui sera développé dans d’admirables stichères [courts poèmes ecclésiastiques intercalés entre des versets de psaumes] réparties dans toutes les heures royales de la Paramonie de Noël (le jour de vigile, c’est-à-dire le 24 décembre). Mais tous ces éléments se trouvent dans l’office divin, peu célébré dans les paroisses et peu suivi par les fidèles : ils passent donc souvent inaperçus.
(6) Cette question sera traitée à part, dans une note spécifique.
(7) Cela oscille entre le 13 et le 19 novembre, puisque le jour de Noël [25 décembre] peut tomber sur un des 7 jours de la semaine. On ajuste alors pour pouvoir commencer l’Avent un dimanche.
(8) Le principe du canon des Matines byzantines, qui vient probablement du monastère de St Sabas (au Sud de Jérusalem), était de faire alterner le chant des principaux cantiques vétéro- et néo-testamentaires avec des compositions ecclésiastiques poétiques appelées « tropaires ». A l’origine, il comptait 9 odes, mais la 2ème est tombée en désuétude. Le 1er cantique est celui de Moïse après le passage de la Mer rouge et le 9ème (en fait 8ème) est le Magnificat. Théoriquement, il est suivi du cantique de Zacharie (le Benedictus), mais dans la pratique, il est très rarement chanté. Chaque rite a ses richesses et ses déficiences.
(9) Cela fait suite au dernier dimanche après la Pentecôte, où l’on fait la 1ère lecture de la prophétie de la Fin des temps, ce qui constitue un lien entre les deux années liturgiques, celle qui s’achève (fin du temps après la Pentecôte) et celle qui commence (début de l’Avent). Le temps, astronomique et liturgique, est cyclique, éternel recommencement (comme un cercle, symbole de ce qui est céleste et divin) : en fait le temps créé par Dieu est une image de l’éternité divine, une sorte de laboratoire spirituel pour l’Homme, appelé à partager l’éternité divine dans la déification.
(10) Pour les paroisse considérées comme « canoniques », c’est-à-dire dépendant d’un évêque admis au Comité interépiscopal orthodoxe de France.
(11) Comme le disait le P. Lev Gillet [le « Moine de l’Eglise d’Orient »] à Mgr Winnaert en novembre 1929, lorsque ce dernier s’approchait de l’Orthodoxie, mais qu’il avait des scrupules en raison du rite qu’il pratiquait (le rite romain modifié, avec le Credo sans Filioque, une épiclèse et la communion sous les deux espèces pour tous). Le Patriarche Serge de Moscou le recevra dans l’orthodoxie en 1936 avec sa communauté, en autorisant la pratique du rite occidental, à condition qu’il ne comporte rien d’hétérodoxe.
(12) Les sociétés occidentales (Europe occidentale et Amérique du Nord) sont tellement riches et déchristianisées, que, sous l’influence des grandes firmes commerciales et avec l’aide des médias, l’Avent n’est plus qu’une longue période festive, au lieu d’être ascétique : on fait Noël, avant même que Celui qui en est l’objet soit venu, le Christ. Et il n’est pas facile de résister à ce mouvement (il y a des « repas de Noël » dans toutes les cantines administratives et professionnelles, et partout on offre des friandises délicieuses tirées de coffrets-cadeaux…). On voit fleurir des « sapins de noël » même dans les pays islamiques, alors que l’Islam rejette violemment l’Incarnation du Verbe et la divinité du « Messie Jésus ». Et, curieusement, aussitôt après « les fêtes » (Noël et le nouvel an), il n’y a plus rien, alors que ce serait le moment de faire la fête et de se réjouir.
(17 nov. 2011 ; revu et corr. en 2012, 2013,2014, 2015, 2016,2017 et 2018) (16-11-2018)