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La Vraie Croix du Christ a été découverte, selon la Tradition, par Ste Hélène, la mère de l’empereur Constantin, vers 328 (mais nous n’en avons aucune trace historique : le premier à en parler fut St Ambroise de Milan en 395, soit 70 ans plus tard), ce qui donna lieu au rite de l’hypsosis, accompli par St Macaire de Jérusalem (élévation de la Croix devant tout le peuple, qui se mit à genoux en murmurant sans fin « Kyrie eleison ») et qui est à l’origine du rite que nous pratiquons. Cette fête fut célébrée à Constantinople dès 336.
Mais en 614, les Perses envahirent la Palestine, mirent à sac Jérusalem, incendièrent le Saint Sépulcre (le tombeau du Christ) et volèrent la vraie Croix. L’empereur Héraclius finit par vaincre définitivement les Perses en 628, puis recouvrit la vraie Croix en 630 et la ramena triomphalement à Jérusalem, sur ses épaules, le 21 mars 630. Le patriarche Zacharie put alors reprendre le rite de l’hypsosis. Mais quelques années plus tard, vers 635, Héraclius décida de transférer la vraie Croix (ou du moins une grande partie ((La branche horizontale se trouve à Rome, à l’église Ste Croix de Jérusalem (proche de St Jean de Latran, la cathédrale de Rome) probablement apportée par Ste Hélène. Je l’ai vue et vénérée : j’ai été surpris par sa petite taille.))) à Constantinople. La Croix devint alors l’emblème et la protection de la ville et de tout l’Empire. C’est à partir de ce moment que la fête de l’Exaltation de la Croix prit une importance exceptionnelle dans le rite de la « Grande Eglise » (Ste Sophie de Constantinople), c’est-à-dire le rite byzantin, au point qu’on finit par créer un deuxième cycle liturgique : parallèlement au temps « après Pentecôte », il y eut désormais un temps « après la Croix ». C’est probablement dans ces circonstances que fut composé le tropaire de la Croix. D’ailleurs, sa version originelle -telle qu’elle est encore chantée en grec et en slavon- correspond exactement aux évènements : « Seigneur, sauve Ton peuple et bénis Ton héritage : accorde à nos rois la victoire sur les barbares [les Perses, puis les Avars et les Slaves] et, par Ta Croix, sauvegarde notre ville [Constantinople] »((Traduction exacte in Mercenier : la Prière des Eglises de rite byzantin, II/1, Chèvetogne, 1953[1965], p.119)). Comme cette fête a pris de l’importance dans tout l’Empire et que ce dernier a disparu en 1453, on a fini par adapter le texte, surtout à l’époque contemporaine. On a remplacé « barbares » par « adversaires » ou « ennemis » et remplacé « notre ville » par diverses expressions. Mgr Jean et Maxime ont opté pour « nos demeures », ce qui semble judicieux, parce que c’est le sens profond et que tout le monde n’habite pas dans une ville. Cette traduction du tropaire me paraît être la meilleure en Europe occidentale actuellement.
La fête de l’Exaltation de la Croix a été célébrée en Gaule bien avant Rome (fin 6ème s.), parce que Ste Radegonde avait reçu une importante relique de la vraie Croix de l’empereur Justin II, en 568 (relique qui existe toujours, dans le monastère Ste Croix fondé par Ste Radegonde). C’est à cette occasion que St Venance Fortunat de Poitiers a composé des hymnes magnifiques, dont le célèbre « Vexilla regis prodeunt » (Les Etendards du roi s’avancent…)((La précieuse relique, arrivée en Gaule par bateau, fut apportée à Poitiers avec toute une escorte, précédée de la bannière de l’empire byzantin et probablement de celle du royaume franc [appelé royaume des Gaules], d’où « les étendards du roi s’avancent… ». C’était un cortège sacré très solennel.)), écrit pour l’arrivée de la précieuse relique à Poitiers, et qui sont tous passés dans le rite romain, lors de la fusion des deux rites, au 9ème siècle.
La date du 14 septembre est probablement la plus ancienne, mais elle n’est pas universelle : en Gaule, on fêtait l’Exaltation le 3 mai. Il en reste quelque chose : dans le Missel Romain, on trouve les deux dates : 3 mai (découverte de la Croix par Ste Hélène) et 14 septembre (Exaltation).
Il y a un élément liturgico-ascétique étonnant à propos de cette fête. D’une façon générale l’Occident a une vision « historique » des mystères, tandis que l’Orient en a une vision intemporelle, mystique. Or, en ce qui concerne l’Exaltation de la Croix, c’est exactement l’inverse : en Orient cette fête est considérée comme un second Vendredi Saint, avec un jeûne rigoureux, même si elle tombe un dimanche, et un Evangile composé de la Passion, tandis qu’en Occident, elle a un caractère festif, sans aucun élément ascétique (« la Croix glorieuse »). C’est un cas unique dans toute l’année liturgique : c’est l’exception qui confirme la règle.
Père Noël TANAZACQ
(11 septembre 2014)