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Congrès de la Métropole Orthodoxe Roumaine d’Europe Occidentale et méridionale (Limours : 1-4 Juillet 2010)
Vendredi 2 juillet (St Jean de Shanghaï et San Francisco)
OCCIDENT ET ORTHODOXIE
Par le Père Noël TANAZACQ
En préambule, je voudrais dire combien je suis heureux d’avoir à aborder ce thème important et difficile le jour de la fête de St Jean de Shanghaï et San Francisco, qui a été mon archevêque en 1965-66, et dont j’ai déposé l’icône devant vous. C’est une heureuse conjoncture spirituelle et je place mon exposé sous son patronage.
Vous avez remarqué que le titre de ma conférence n’est pas « Occident et Orient chrétiens », ni « hétérodoxie et orthodoxie », mais « Occident et Orthodoxie », c’est-à-dire rencontre entre l’Homme et Dieu, union libre des deux volontés, humaine et divine, l’Occident représentant symboliquement l’Homme et l’Orthodoxie Dieu.
Auparavant je voudrais faire une introduction proprement théologique, car la théologie précède l’histoire, Dieu étant le créateur du temps et de l’espace.
Orient et Occident
Ce sont des notions spirituelles, à caractère symbolique. Il ne faut pas les prendre à la lettre, ni géographiquement, ni culturellement, mais dans leur acception symbolique.
L’Orient a toujours été spéculatif, mystique, poétique, initiatique…
L’Occident a toujours été organisateur, constructeur, rationnel, conquérant…
L’un n’est pas supérieur à l’autre : ce sont deux aspects différents de l’homme, qui est intérieur et extérieur. Ce sont deux reflets de Dieu.
Il y a en Dieu une vie intra-trinitaire, inconnaissable, correspondant à Son essence, et une extériorité puisqu’Il se donne et crée dans Ses énergies. Nous le voyons bien dans l’œuvre créatrice de Dieu : Il crée l’univers en 6 jours- éons et, le 7e éon, le Seigneur cesse de s’extérioriser pour que l’Homme puisse venir à Lui et Le connaître dans Son mystère ineffable. C’est le « repos » divin, qui nous permet de comprendre le vrai sens du « sabbat »((Ce repos divin, ce « retrait » apparaît clairement dans plusieurs paraboles, mais surtout dans celle des Vignerons homicides : le propriétaire de la vigne « partit pour l’étranger » (Mt 21/33,Mc 12/1, Lc 20/9) ,c’est-à-dire dans le Temple supra-céleste, et « pour longtemps » (Lc 20/9),c’est-à-dire jusqu’à la fin des temps.)). L’Homme est l’image de Dieu : tout l’Homme est l’image de tout Dieu. L’Orient symbolise l’intériorité et l’Occident l’extériorité. L’un ne peut pas exister sans l’autre, car il s’agit du même être, qu’il s’agisse de l’être divin ou de l’être humain. Ces vérités sont d’ordre ontologique. Et chacun des deux aspects a ses propres déficiences, au sens humain bien sûr. Chacun a son corollaire en matière de péché :
L’Occident pèche par la volonté de puissance et le centralisme autoritaire,
L’Orient pèche par le repli sur soi-même : on devient nombriliste et on enterre son talent ; on ne va pas vers l’autre.
On retrouve en filigrane les deux grands aspects du péché de l’Homme : l’orgueil et le désespoir , deux aspects différents d’un unique et même péché, qui est une déficience d’amour.
L’Empire romain, berceau du Christianisme, avait ceci d’extraordinaire : il rassemblait l’Orient et l’Occident, sémitique et grec en Orient, latin en Occident. Mais c’est l’Occident qui a unifié tout et qui a créé l’Empire. Et dans cet empire, les deux aspects avaient leur place : l’Occident gouvernait, organisait, construisait, légiférait ; l’Orient pensait, écrivait, spéculait, était en quête de Dieu. Les échanges entre les différentes parties de l’Empire étaient importants et permanents. Mais il n’y avait qu’un seul empereur, une seule tête. Cet empire constituait en lui-même une prophétie de l’Eglise et du Royaume de Dieu.
L’Eglise indivise (le premier millénaire)
Elle naît dans ce contexte historique, politique, économique, social, culturel, et va vivre dans ce cadre pendant à peu près 1000 ans.
Le Christ n’a pas donné à Ses disciples un modèle d’organisation, une structure, ni des consignes précises : Il a donné des principes, un esprit des choses. Après, il a appartenu aux Apôtres, inspirés et conduits par le Saint- Esprit, d’agir, de mettre en œuvre, d’accomplir.
L’Eglise se développe dans ce cadre de l’Empire romain et s’y insère : elle n’est pas une nouvelle structure, une superstructure qui s’imposerait à tous, car elle a en vue de changer les hommes de l’intérieur et non pas de se superposer à l’Empire romain. Et, malgré les tensions et les affrontements, qui sont inévitables et qui ont été d’ordre religieux (hérésies et schismes) ou politique (les évènements extérieurs et notamment la disparition de l’Empire en Occident et l’apparition de nations nouvelles, à la suite des « grandes invasions »), on vit en symbiose, on s’enrichit mutuellement et on se vérifie. Il y a une grande diversité de rites, d’iconographie, de règles, d’usages (ascétiques, monastiques…) d’organisation, de canons…, qui ne nuit pas à l’unité de l’Eglise. A titre d’exemples, il faut rappeler que jusqu’au 7ème siècle, il y a des évêques grecs à Rome et des évêques syriens et grecs en Gaule . Une des grandes richesses de cette longue période est qu’Il y a une vie conciliaire universelle (les 7 conciles œcuméniques) et locale, conformément aux décisions du 1er concile œcuménique (Nicée, 325).
Le socle de l’unité de l’Eglise est : la foi orthodoxe, la vie conciliaire, la communion eucharistique.
C’est une ecclésiologie de communion.
Le Schisme de 1054 et le millénaire de la division
Le schisme de 1054 se révèlera être un coup de tonnerre, un cataclysme, mais pas immédiatement((A titre d’exemples, je veux citer Pierre Kovalevsky, qui ,dans son manuel d’Histoire russe (Histoire de Russie et de l’URSS,Paris,1970), mentionne deux faits significatifs : dans la Russie de Kiev, il y a eu des liturgies latines jusqu’au 12ème siècle, sans que personne n’en fût choqué; et il y a eu au 11ème siècle un higoumène célèbre à Novgorod, Antoine le Romain, qui était un latin (il était né à Rome en 1067,c’est à dire après le schisme) : après sa mort, le 30 août 1147, il sera canonisé .)).En fait, c’est le sac de Constantinople en 1204 qui a été la consommation du schisme et qui a créé un mur de séparation, un fossé de haine entre les deux parties de l’Eglise, l’Occident catholique-romain et l’Orient orthodoxe. Je ne peux pas revenir en détail sur cet évènement complexe, aux conséquences gravissimes, et qui est d’abord d’ordre dogmatique et écclésiologique. Mais je voudrais quand même rappeler que, à côté des problèmes proprement religieux, il y a eu aussi l’éloignement progressif les uns des autres, dû essentiellement aux circonstances historiques : la pression de l’Islam, aggravée par la poussée des Turcs (à partir du milieu du 11ème siècle et qui conduira à la chute de Constantinople en 1453), la montée en puissance des nations occidentales (il faut mentionner un évènement significatif : ce sont les conquêtes des chevaliers normands en Italie du Sud, à la limite des territoires byzantins et romains, qui furent la cause immédiate du schisme…) , l’éloignement géographique et culturel (en Occident, on ne comprend plus le grec,la langue de la théologie trinitaire…).
Pendant environ 800 ans chaque partie de l’Eglise va évoluer dans sa sphère.
. L’Orient va cultiver son orthodoxie en se repliant sur lui-même et en considérant que l’Occident est perdu. Il y en a un signe symbolique fort : l’élévation des iconostases, qui fait probablement suite aux invasions mongoles (13e-14e siècle ; Kiev est détruite en 1237-1240) et qui devient un état de fait au 15e siècle. On cache tout.
L’Orient a dû subir l’Islam, les croisés et les mongols. Tous les patriarcats antiques sont sous domination musulmane (Moscou ne devient patriarcat qu’au 16e siècle, en 1589). L’Orient conserve ses trésors, certes, mais il est aussi affecté par le conservatisme (« ne rien changer » : les habitudes tiennent lieu de tradition). D’autant plus que les Eglises d’Orient se révèlent incapables d’avoir une vie conciliaire universelle. Le Patriarche de Constantinople ne joue pas son rôle d’évêque de la deuxième Rome. Il n’y a pas de véritable centre de l’Orthodoxie, ni de manifestations de l’unité de l’Eglise orthodoxe (il n’y a eu aucun concile général durant le deuxième millénaire, alors que l’évolution exponentielle de l’histoire en aurait mérité plusieurs, ne serait-ce que pour répondre aux questions fondamentales posées par la Réforme,et rappeler aux chrétiens d’Occident la Tradition de l’Eglise indivise…).
. L’Occident catholique-romain va se développer prodigieusement et en apparence triompher. L’Eglise « Catholique- romaine », telle que nous la connaissons, se situe en fait entre Grégoire VII (1073-1085) et le 1er concile du Vatican (1870). Ayant étendu sa juridiction sur l’ensemble de l’Europe occidentale, grâce aux empereurs carolingiens à la fin du premier millénaire, n’ayant plus sa sœur orientale pour être vérifiée, elle va évoluer et se transformer radicalement. On voit apparaître à peu près en même temps que les « Dictatus papae »((Les Dictatus papae sont un recueil canonique publié vers 1075, qui contient la synthèse des idées du pape Grégoire VII pour « réformer » l’Eglise et la gouverner. Ils affirment que le pape [de Rome] est le chef suprême de l’Eglise universelle(dictatus n°3). Le plus significatif est le dictatus n° 19 : le pape juge tout le monde, mais il ne peut être jugé par personne (!).Quant au dictatus n°9 (« Le pape est le seul homme dont tous les princes baisent les pieds »),il est en contradiction formelle avec l’enseignement et le comportement du Christ,qui,Lui,a lavé les pieds de Ses disciples et dont les pieds ont été percés de clous.)) de Grégoire VII, mais surtout après, aux 12e et 13e siècle, la scolastique, qui est une new-théologie, la première forme du « progressisme ».
Rome introduit le rationalisme dans la théologie, oubliant l’esprit patristique((Les Pères de l’Eglise partaient toujours de l’Ecriture Sainte et s’efforçaient de la commenter,de l’expliciter en s’appuyant sur la Tradition (le consensus ecclesiae) et sur l’expérience spirituelle :ils ne dissociaient jamais la theoria de la praxis. Tandis que les scolastiques sont des intellectuels de métier,des théologiens abstraits,s’inspirant plus de la philosophie antique que des Pères.)), le juridisme dans la vie spirituelle (la morale remplace la spiritualité : le péché devient moral, et il faut « purger » sa peine .On oublie l’aspect essentiel du christianisme, qui est la rencontre personnelle avec Dieu, et le but spirituel de l’Homme, qui est de passer de l’image à la ressemblance), et le sentiment dans l’art chrétien, qui fera disparaître l’art iconographique, vers le début du 14e siècle.
Ce mouvement qui débute avec Grégoire VII, c’est à dire juste après le schisme, va culminer avec Vatican I : un seul au-dessus de tous , le pape de Rome, qui est un super-évêque et qui finit par être proclamé « infaillible ». On est en rupture totale avec le modèle trinitaire.
Rome a oublié l’Homme, la volonté libre de l’Homme. Il n’y a plus que Dieu, ou le divin, représenté par le clergé et surtout par le Pape. Ce déséquilibre provoque en Occident une crise terrible : l’explosion de la Réforme au 16e siècle. Les Réformés disent à l’institution ecclésiastique -au Pape- : et l’Homme ? Il y avait eu un « excès de divin », il va y avoir par contre coup un « excès d’humain ».L’équilibre du dogme chalcédonien avait été rompu : il est donc sorti une « hérésie », comme cela est normal et inévitable. Il y avait eu trop de sacré,la Réforme sera « sacrilège ». Et dans cette lignée « spirituelle », vont apparaître la science moderne, la culture profane, l’art profane, la liberté politique… Tout cela coïncide avec un très puissant mouvement de colonisation qui est planétaire (de la fin du 15e jusqu’à la fin du 19e siècle). D’où le fait que la civilisation « occidentale », c’est-à-dire moderne (et qui se définit de facto contre Rome) va devenir planétaire.
Le « Réveil » de Dieu (le 20e siècle).
Au bout d’un millénaire, le Seigneur sort de Sa réserve et donne « un coup de pied dans la fourmilière », comme on le dit familièrement. Il manifeste Sa désapprobation vis-à-vis de ce Yalta ecclésial et suscite ou plutôt permet des évènements historiques terribles qui vont changer tout. Dieu avait déjà permis la chute de Constantinople, qui sonnait le glas de l’Orthodoxie historique, impériale, culturelle. Mais ça n’avait pas suffi((Il n’y avait eu qu’une modeste émigration de savants et lettrés byzantins à Venise, qui n’avait rien changé fondamentalement. Mais c’était déjà un jugement divin sur l’Orthodoxie historique, impériale, orientale. Contantinople, la « Grande Eglise », était aux mains des Turcs !)). Là, Il frappe beaucoup plus fort : il y a les deux guerres mondiales et l’instauration du communisme, avec sa peur planétaire. Ces grands et terribles évènements, qui sont les plus tragiques de toute l’histoire humaine, vont avoir deux conséquences :
. L’Orient va subir de terribles persécutions qui vont entraîner des exodes massifs de population : les Russes (puis les autres peuples d’Europe orientale après 1945) et les Grecs après leur échec contre les Turcs en 1922, avec une différence entre les deux : c’est l’intelligentsia russe, l’élite du pays, qui a dû émigrer, alors qu’en ce qui concerne les Grecs, c’étaient plutôt des gens du peuple.
L’Orthodoxie va être contrainte de sortir de ses frontières, de son ghetto, et d’aller vers l’Occident, sa sœur occidentale, où elle va à la fois être vérifiée et constituer une semence. C’est un renouveau dans la souffrance.
L’exemple le plus intéressant est celui des jeunes intellectuels russes de Paris qui vont créer la Confrérie de Saint Photius, en 1925. Ils venaient tous de grandes familles russes qui étaient profondément chrétiennes, très engagées dans la vie de l’Eglise orthodoxe. Subitement, tout leur monde s’écroule. Alors ils sont entrés en eux-mêmes et se sont demandés : quel est le sens de ces évènements ? Quelle est la volonté de Dieu ? Qu’est-ce que l’Orthodoxie ? Et petit à petit, ils vont prendre conscience qu’ils arrivent dans un vieux pays chrétien, chrétien depuis 2000 ans, que ce pays a fait partie de l’Eglise indivise pendant 1000 ans et que, sous leurs pieds, dans la terre de France, il y a 1000 ans d’Orthodoxie. Ils vont découvrir qu’il y avait une liturgie orthodoxe en France jusqu’au 9e siècle,la liturgie des Gaules, comportant une véritable épiclèse (qui est le critère d’orthodoxie d’une liturgie) ; ils vont découvrir les saints orthodoxes de la France (Ste Geneviève, St Hilaire, St Martin, Ste Radegonde,…) et faire des pèlerinages, découvrir l’iconographie occidentale : l’art pré-roman et l’art roman (qui a perduré bien après le schisme : l’art iconographique ne disparaît en Occident qu’au 14e siècle). Alors se produit un vrai miracle : ils vont apprendre à distinguer entre ce qui constitue le fondement de l’Orthodoxie –à savoir la foi orthodoxe- et leur culture nationale, le rite, les usages, les habitudes, le nationalisme. Cela ne vaut pas seulement pour les liturgies occidentales qu’ils vont découvrir, mais aussi pour le rite byzantin, qu’ ils vont redécouvrir à la lumière de la Tradition : ils vont ainsi renouveler la façon de le célébrer et revenir aux usages antiques, en laissant de côté les ajouts inutiles. Ils vont s’efforcer de retrouver le sens des actes liturgiques.
C’est extraordinaire, parce que c’est la seule voie possible pour résorber le schisme : ceux qui ont conservé la vraie foi vont vers leurs frères, mais en les respectant.
. L’Occident connaît une autre évolution, plus inattendue, mais compréhensible. L’Occident va connaître une crise spirituelle sans précédent, un rejet de l’Eglise institutionnelle, une déchristianisation, une laïcisation. C’est la conséquence directe du système papal romain et d’une théologie qui ignore la personne et l’économie du Saint-Esprit. Ce système fonctionne tant qu’il peut dominer, exercer sa puissance. Mais à partir du moment où les Etats deviennent libres par rapport à l’Eglise, se laïcisent, où les gens n’ont plus peur (si vous ne faites pas ceci, on ne vous marie pas, on ne baptise pas vos enfants,…) le système ne fonctionne plus : la machine se grippe. Et cela va conduire beaucoup d’Occidentaux, déçus par leur Eglise ou leurs Eglises, à se mettre en chemin, à chercher une voie spirituelle. Certains vont entrevoir l’Orthodoxie.
. C’est la rencontre de ces deux mouvements qui va produire l’apparition de fidèles orthodoxes occidentaux, non pas pour des raisons culturelles ou familiales (fascination de l’Orient,mariages mixtes,…) mais par conviction théologique. C’était la première fois depuis 1000 ans. Et cela a été rendu possible parce que les jeunes russes ont compris qu’il y avait un chemin propre pour l’Occident au sein de l’Orthodoxie. Chacun a dû y mettre quelque chose de lui-même, faire une ascèse : les Occidentaux ont dû reconnaître que l’Orient avait conservé la vraie foi et y adhérer, c’est-à-dire changer, et les Orthodoxes de souche ont dû permettre aux Occidentaux de vivre leur foi orthodoxe dans des rites et des usages autres que gréco-slaves.
C’est cela qui a permis l’apparition d’une communauté orthodoxe française juste après la 2e Guerre Mondiale, utilisant l’ancien rite des Gaules qui avait été restauré par les jeunes russes, restauration non archéologique, mais pastorale. L’âme de ce mouvement a été le Père Eugraph Kovalevsky((Eugraph Kovalevsky (Saint-Pétersbourg,1905-Paris,1970).Il fonde à Paris en 1925, avec ses deux frères (Maxime, le liturge, et Pierre, l’historien) et cinq autres jeunes russes la Confrérie Saint-Photius, dont le but était de « travailler à l’indépendance et à l’universalisme de l’Orthodoxie ».Ordonné prêtre en 1937 par la Métropolite Eleuthère –exarque du Patriarcat de Moscou- et sacré évêque à San Francisco le 11 novembre 1964 (fête de St Martin) par St Jean de Shanghaï et San Francisco,assisté de l’archevêque roumain Théophile Ionesco, sous le nom de Jean (en mémoire de St Jean de Cronstadt,qui venait d’être canonisé) évêque de Saint-Denis.)), devenu Evêque Jean en 1964 après son sacre par Saint Jean de Shanghaï et San Francisco. Saint Jean avait lu la totalité des textes liturgiques de ce rite, il les avait célébrés et les avait bénis. Les orthodoxes historiques locaux auraient dû prendre en considération un tel évènement, au lieu de dénigrer sans cesse ce rite, sans l’avoir jamais vu célébrer, ni même lu. S’ils avaient été dans l’esprit des Apôtres Pierre et Paul, tel qu’on le perçoit dans les Actes, leur cœur aurait bondi de joie de ce que l’Occident retrouve la vraie foi, mais ils se sont affligés, parce que cela n’entrait pas dans leurs catégories mentales et que les évènements leur échappaient.
Cet Evêché de rite occidental s’est ensuite beaucoup développé, parce que les occidentaux pouvaient y retrouver les racines de l’Eglise, sans être contraints de rompre avec leur histoire, leur culture, leurs traditions, ce qui était en soi un miracle. Mais la naissance au Ciel de Saint Jean de San Francisco,le 2 juillet 1966, provoqua beaucoup de remous dans l’Eglise russe hors-frontières, car son comportement prophétique était perçu de façons diverses -c’est le moins qu’on puisse dire- ce qui conduira l’Evêché de rite occidental à une période d’isolement, jusqu’à la mort de l’évêque Jean (en 1970).Heureusement des contacts avaient été noués avant sa mort avec la Patriarche de Roumanie Justinien, qui avait bien compris le chemin spécifique des occidentaux dans l’Orthodoxie. Finalement cet Evêché sera reçu dans la communion de l’Eglise roumaine en 1972 et elle acceptera de sacrer un évêque pour succéder à l’évêque Jean.
. Ici je n’ai pas le temps de parler de ce qui s’est passé ensuite dans les années 1980-2000. C’est trop complexe et trop long. Mais je veux juste relever quelques éléments importants.
Il y a eu un évènement douloureux en 1993, lorsque l’Eglise de Roumanie a retiré sa bénédiction à l’Evêque du groupe occidental parce qu’il n’avait pas un comportement conciliaire. Malgré le déchirement que cela représentait, nous avons été quelques prêtres et diacres, avec une partie de nos fidèles, à demeurer dans la communion de l’Eglise orthodoxe, ce qui prouve que le rite des Gaules n’était pas un obstacle à la pratique de l’Orthodoxie.
A cette époque, notre évêque était le Métropolite Séraphin d’Allemagne, locum tenens de l’Archevêché d’Europe occidentale. Il nous a réuni et il nous a dit ceci : « je ne vous impose rien. Vivez avec vos frères »((Il ne nous demandait pas d’adopter le rite byzantin,ni même la date de Pâques julienne,mais il nous demandait d’aller vers nos frères orthodoxes,d’apprendre à les connaître et de vivre avec eux : par ces paroles d’une grande sagesse, qui témoignaient d’un remarquable souci pastoral, il nous amenait avec douceur vers l’ecclésiologie de communion, dont nous n’avions pas une conscience plénière. Nous avions été dans l’admiration. Je m’étais dit : ça, c’est un évêque orthodoxe !)). C’était une belle leçon d’Orthodoxie.
L’Eglise roumaine a été, sur ce plan, irréprochable. Et nous avons espéré pendant environ deux ans pouvoir faire vivre cet héritage merveilleux reçu de Saint Jean de San Francisco et de l’Evêque Jean. Puis vint le couperet : nos frères de l’Archevêché russe (la rue Daru) qui dominaient le Comité inter-épiscopal, ont imposé l’interdiction du rite des Gaules et l’adoption du rite et des usages byzantins, sans aucun souci pastoral. Notre Métropolite céda à contre cœur, par souci d’unité de l’Eglise.
On retrouve là, dans ces évènements, les deux grands péchés de l’Occident et de l’Orient.
Les Occidentaux se sont montrés trop sûrs d’eux et désobéissants.
Les Orientaux ont eu le cœur sec : ils n’ont pas eu les « entrailles généreuses » de l’Eglise ; ils se sont recroquevillés sur leurs usages et leurs habitudes, avec la crainte du renouveau.
Les uns et les autres ont eu des torts.
. Malgré cela, pendant assez longtemps, nous avons pensé qu’il y avait une voie possible et nous nous sommes réjouis que Dieu nous amène (nous contraigne) à travailler ensemble. Il nous a fait prendre conscience du fait que nous avions besoin les uns des autres. De plus, l’expérience que nous avons faite du rite byzantin nous a été précieuse, même par rapport au rite des Gaules. J’y ai vu, pour ma part, le Doigt de Dieu.
Mais j’ai remarqué -et je ne suis pas le seul- qu’il y avait depuis quelques années une évolution différente, qui n’existe pas seulement chez les Roumains, mais aussi chez les Russes.
Les circonstances sont meilleures pour l’Orient : la plupart des peuples ont été délivrés de la tyrannie communiste. Les économies de ces pays vont mieux. Les Eglises d’émigration se structurent et se développent. Mais on assiste à un mouvement qui me paraît être l’inverse de ce que nous avions connu dans les décennies précédentes. Les Russes ont tendance à se russifier, les Roumains à se roumaniser, etc… La plupart de ces immigrés se sont bien assimilés dans leurs pays d’accueil respectifs (ils parlent bien les langues de ces pays, trouvent des emplois, parfois ils y prennent mari ou femme, leurs enfants réussissent bien dans les écoles), mais, au plan religieux, les paroisses ont tendance à devenir des conservatoires des traditions nationales. Il y a moins d’ouverture au monde occidental. On y retrouve parfois des décadences propres à l’Orient, des usages non conformes à la Tradition, notamment au plan liturgique. Il y a un certain raidissement. Il n’y a plus la même ouverture d’esprit. Et les Occidentaux s’y sentent de moins en moins bien. J’en ai souvent des témoignages et moi-même, à quelques exceptions près, je suis moins porté à aller concélébrer dans ces paroisses. J’éprouve parfois une certaine lassitude…
Maintenant que fait-on ?
Est-ce que les Orthodoxes d’origine, historiques, qui sont venus en Occident, veulent reproduire ici ce qu’ils ont connu dans leur pays, c’est-à-dire, faire de petits îlots de Russie, de Roumanie, de Grèce,… dans les pays occidentaux, ou est-ce qu’ils sont prêts à faire une petite place pour l’Occident au sein de l’Eglise orthodoxe ?
Dans le premier cas, l’Orthodoxie demeurera, en Occident, confidentielle, le fait d’une petite élite, et l’on perpétuera le Yalta ecclésiastique de 1054.
Dans le deuxième cas, on rendra possible le retour à l’unité de l’Eglise, dont la caractéristique était, pendant le premier millénaire : « unité de la foi dans la diversité des rites ».
Le Saint-Esprit nous dit : à vous de jouer. Est-ce que nous voulons « jeter le feu » sur l’univers ou enterrer notre talent ?
Père Noël TANAZACQ
Recteur de la paroisse Sainte Geneviève-Saint-Martin
(Paris)
(4-8-2010 ; rev. et corr. 15-5-2015 )