(Téléchargez la version PDF en cliquant ici)
La Sainte Rencontre est un grande fête, tant en Occident qu’en Orient, qui voient en elle des richesses différentes et complémentaires, mais elle est aussi une des fêtes les plus complexes de l’année liturgique. On peut la qualifier de « biblique », parce qu’elle plonge ses racines dans l’Ancien Testament (la Loi de Moïse) et dans le Nouveau (l’Evangile). Cette « triple fête » n’est rapportée que par St Luc (Lc 2/22-36).
Il s’agit à l’origine de fêter la Présentation de l’Enfant Jésus au Temple [de Jérusalem] et la purification de Sa mère, Marie (appelée ensuite dans l’Eglise « Relevailles»), deux rites qui étaient des prescriptions divines de l’ancienne Alliance.
La consécration au Seigneur des premiers-nés des enfants mâles était une prescription de Dieu à Moïse (Ex 13/2 et 12-15), en mémoire de la grâce faite par Dieu aux premiers-nés des Hébreux, tandis que Son ange frappait les premiers-nés des Egyptiens (Ex13/14-15). Mais le bébé devait être « racheté » au prêtre, c’est-à-dire à Dieu, par les parents contre 5 sicles d’argent (Ex 13/13b et Nb 18/15-19), d’où l’expression de « présentation[1] » de l’enfant à Dieu, puisque, après l’avoir « offert » à Dieu (au prêtre), ils pouvaient le reprendre et rentrer chez eux avec lui.
Toute femme ayant accouché d’un garçon ou d’une fille était déclarée « impure » rituellement (Lev 12/1-8) et ne pouvait pas s’approcher du Temple, ni toucher des choses saintes. Elle devait rester chez elle pour « se purifier du flux de son sang » (Lev 12/7). Le sens est éminemment théologique et lié à la chute d’Adam et Eve. Le sang, qui part du cœur et qui est constamment en mouvement dans les veines de l’Homme, est vital et le principe même de vie en l’Homme : il est le symbole de l’âme[2] et représente le Don du Saint-Esprit, qui est le « Donateur de vie ». Lorsqu’Adam et Eve eurent péché en désobéissant à Dieu [c’est-à-dire en ne L’aimant pas], et qu’Ils perdirent leur vêtement de lumière (la grâce incréée) et leur intimité avec Dieu, le jugement divin contre la femme fut «…tu engendreras dans la douleur… » : les deux premiers enfants d’Eve, Caïn et Abel furent engendrés dans la douleur, et avec perte de sang (au minimum la perte du placenta). Et lorsque ces deux enfants furent grands, l’aîné tua le cadet (Dieu dit à Caïn : « la voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à Moi » (Gn 4/10). Ainsi la perte de sang symbolisa la perte de l’Esprit-Saint, le péché par excellence, et fut considérée dans l’Ancien Testament comme une impureté spirituelle.
Mais il y avait une différence entre les enfants mâles et femelles : lorsque la femme engendrait un fils, elle demeurait « impure pendant 7 jours, comme au temps de son indisposition menstruelle »…et devait « rester encore 33 jours à se purifier de son sang » (7+33= 40 jours) ; mais, si elle engendrait une fille, la sentence était doublée (14+66= 80 jours). Ceci était lié expressément au fait que c’est la femme -Eve- qui avait été la porte du péché, en écoutant le Serpent [Satan] (alors que, dans le plan divin, Eve devait engendrer -selon la chair- le Fils de Dieu. Marie rachètera Eve et sera appelée « Nouvelle Eve »). Au bout de sa quarantaine (ou de ses 80 jours) la femme devait venir au Temple[3], et apporter une offrande : « un agneau d’un an pour l’holocauste[4] et un pigeonneau, ou une tourterelle, pour le sacrifice d’expiation4 » (si elle était pauvre, elle pouvait offrir deux tourterelles ou deux pigeonneaux). Le prêtre faisait le sacrifice et la femme était alors « purifiée du flux de son sang ».
On peut remarquer que le Lévitique ne fait aucune allusion au mari de la femme, ce qui confirme la responsabilité spirituelle initiale de celle-ci dans la chute : c’est, en effet, elle qui devait accomplir le dessein du Père céleste, à savoir l’incarnation de Son Fils monogène.
Si son enfant était un mâle premier-né, elle devait l’offrir à Dieu : le prêtre le prenait dans ses bras et disait une prière. Puis, elle le lui « rachetait » contre 5 sicles d’argent et elle pouvait alors le ramener chez elle (d’où le nom usuel de « présentation »).
Marie accomplit donc ces rites, conformément à la Loi, 40 jours après la naissance de Jésus (ce qui donne la date du 2 février, 40 jours après le 25 décembre). En fait, ni Jésus ni Marie n’étaient concernés par ces prescriptions rituelles. L’offrande des premiers-nés des mâles était une préfigure du Messie (c’était la vocation d’Eve) : le Christ s’y est soumis en signe d’accomplissement de la prophétie. Et Marie, la Nouvelle Eve, offre bien son fils à Dieu, le Père céleste : elle a racheté Eve. L’impureté rituelle des femmes après leur accouchement tenait non seulement au fait qu’elles engendraient dans la souffrance et le sang, mais encore qu’elles engendraient pour la mort (chaque être humain devant subir le châtiment d’Adam et Eve, c’est-à-dire la mort), ce qui était contraire à la volonté divine. Or l’engendrement de Jésus par Marie est sans douleur et non sanglant (Marie est demeurée vierge) et elle est la première femme à engendrer un homme uniquement pour la vie (Jésus a accepté librement de mourir, pour sauver l’Homme, mais, en tant qu’homme parfait, Il n’était pas soumis à la mort). Marie s’est soumise à la Loi par humilité et par obéissance à Dieu (Eve avait été désobéissante). Le récit de S Luc (2/22-24) nous permet de savoir que Joseph et Marie n’étaient pas riches, puisqu’ils n’ont offert que deux tourterelles (représentées sur les icônes).
Cette fête a d’abord existé à Jérusalem (comme la plupart des fêtes), puisque la pèlerine gauloise Egérie l’atteste, à la fin du 4ème s., « quarante jours après l’Epiphanie »[5] Elle est attestée à Constantinople au 6ème s., mais avec une vision différente de celle qui prévaudra en Occident. L’Orient, en effet, a surtout mis l’accent sur la rencontre entre l’Enfant Jésus et le vieillard Syméon[6], qui représente simultanément le « vieux monde » (il est un vieillard), donc le monde déchu, et les justes de l’Ancienne Alliance (« l’Esprit-Saint était sur lui » Lc 2/25) : il reçoit dans ses bras le Messie. Il peut donc s’en aller dans la paix, car le salut est venu : la promesse faite par Dieu à Abraham est accomplie. Le péché d’Adam et Eve est racheté. L’Enfant-Dieu est celui qui nous introduit dans le monde nouveau, le Royaume de Dieu, qui est un monde où l’on ne vieillit pas, où l’on est éternellement jeune. C’est pourquoi l’Orthodoxie appelle cette fête la « Sainte Rencontre »6.
En Occident, il semble que ce soit le pape de Rome Gélase (492-496) qui l’ait introduite à Rome en vue de contrer et de christianiser de grandes fêtes païennes (les Lupercales), qui célébraient, à la mi-février, le retour du soleil, un peu plus d’un mois après le solstice d’hiver, et qui donnaient lieu à des processions « lustrales » -c’est-à-dire de purification[7]– qui avaient souvent un caractère licencieux. D’où l’instauration à Rome d’une grande procession aux chandelles, après la bénédiction solennelle de celles-ci (les cierges), qui a donné son nom à la fête (La Chandeleur) et son caractère de fête des lumières, qui rejoint le Cantique de Syméon (« Lumière qui doit se révéler aux nations ») et qui en fait la dernière des théophanies du cycle de Noël[8]. Mis à part ce rite, qui est circonstanciel, l’Occident a surtout mis l’accent sur la « la Présentation au Temple de l’Enfant-Jésus » et « la Purification de la Vierge Marie», même s’il y a des nuances : l’Eglise de rite ambrosien[9], c’est-à-dire d’Italie du Nord, y a vu d’abord la Rencontre du Christ avec Syméon, comme en Orient, de même que le Sacramentaire grégorien[10], qui l’appelle « hypapante6 ». Ajoutons qu’il y a, en France, deux missels du
11e siècle, qui ont conservé les prières de bénédiction des cierges, dont celui de Robert de Jumièges[11], qui est probablement d’origine gallicane.
Lorsque l’évêque Jean de Saint-Denis[12] restaura une année liturgique de rite occidental, basée sur l’ancien rite des Gaules, au sein de l’Orthodoxie, il conserva l’aspect de fête des lumières, cher à tout l’Occident (avec la bénédiction solennelle des cierges et la procession dans l’église), mais il mit l’accent théologique sur la « sainte Rencontre » chère à l’Orthodoxie12. C’est dans le cadre de cette restauration d’une Orthodoxie occidentale que la Sainte rencontre est devenue aussi une fête ecclésiologique : à la Sainte Rencontre de 1937, pour la première fois depuis 1054, une communauté occidentale, celle de Mgr Winnaert[13], a été reçue dans l’Orthodoxie, avec son rite occidental, par le Patriarche Serge de Moscou. Le mur de séparation était abattu. C’était une sainte rencontre entre l’Orient et l’Occident chrétiens, après 1000 ans de séparation. Ce fait peu connu, mais important au regard de l’histoire de l’Eglise, fut corroboré par la naissance au Ciel du premier évêque orthodoxe occidental, l’évêque Jean de Saint-Denis, le 30 janvier 1970, dont le corps fut déposé dans sa cathédrale pour la fête de la Saint Rencontre[14] et qui fut inhumé le lendemain 3 février. Cette fête est aussi une prophétie du retour de l’Eglise à son unité originelle, celle du 1er millénaire.
La sainte Rencontre est, selon le calendrier liturgique occidental, la dernière des théophanies et se trouve à la charnière des deux cycles, celui de l’Incarnation du Verbe (Noël) et celui du salut (Pâques)[15]. Dans l’usage occidental, on retire la crèche et on range les santons en vigile de la Sainte Rencontre (le 1er février au soir), car le temps des théophanies est achevé.
Les fidèles orientaux sont très attachés à avoir toujours chez eux de l’eau de la Théophanie. Les fidèles occidentaux ramènent soigneusement chez eux des cierges bénis de la Sainte Rencontre. Les Orthodo xes occidentaux sont héritiers des deux usages, pour leur profit spirituel.
Père Noël TANAZACQ
(20-1-2012 ; corr. 30-1-2014, 2-2-2018 et 31-1-2019)
[1] L’expression « Présentation de la Vierge Marie au Temple », utilisée tant en Orient qu’en Occident pour la fête du 21 novembre, est complètement fausse, car Marie était une fille et non un garçon, elle avait 3 ans et n’était plus un bébé, et ses parents -Joachim et Anne- l’avaient réellement offerte à Dieu : ils ne l’ont pas « rachetée » pour la ramener à la maison. La seule dénomination exacte est « L’Entrée de la Vierge au Temple ». Les clercs devraient lire plus attentivement la Bible…
[2] Moïse rapportant les préceptes de Dieu au peuple dira : « …garde-toi de manger le sang, car le sang, c’est l’âme » [Grec : psuchê ; latin : anima], c’est-à-dire le principe vital du corps (Dt 12/23).
[3] Ce fut d’abord à l’entrée de la « Tente d’assignation », qui était une sorte de temple ambulant. A l’époque du Christ, dans le temple d’Hérode, cela se passait dans le « parvis des femmes », devant la porte de Nicanor.
[4] Il n’est pas facile de connaître avec précision le sens et la pratique des sacrifices juifs antiques, même dans les ouvrages spécialisés. Disons simplement que l’holocauste (ôlah ou kâlil) était la forme la plus haute d’offrande de victime animale et que la victime devait être entièrement consumée par le feu ; quant au sacrifice d’expiation (khattah) dont on a un bel exemple en Jg 6/19-21, il avait pour but d’obtenir le pardon pour les péchés (cf. la fête du grand pardon [Yom kippour] où le grand-prêtre entrait dans le saint des saints et offrait le sang des victimes en en aspergeant les choses saintes.
[5] Mais à cette époque, à Jérusalem, l’Epiphanie était le 6 janvier et concernait Noël et l’adoration des Mages. La fête était donc le 14 février.
[6] D’où son nom d’ « Hypapante », qui signifie rencontre, en grec.
[7] Quelle conjonction prophétique, puisqu’en Occident, cette fête s’est appelée (et s’appelle toujours) « Purification de la Vierge Marie » !
[8] Depuis l’origine des rites, l’Occident a deux cycles liturgiques : celui de Noël (ou des théophanies) et celui de Pâques, tandis que l’Orient n’en a qu’un, le cycle pascal.
[9] Le rite ambrosien, qui est celui de milan, et qui a été mis sous le patronage du grand liturge que fut St Ambroise, fait partie de la famille liturgique du rite des Gaules.
[10] Le sacramentaire grégorien initial, attribué à St Grégoire le Grand (pape de Rome de 590 à 604) -qui fut un grand liturge- date du 7ème s., mais a connu de nombreuses variantes jusqu’à la fin du 8ème s.
[11] Célèbre abbaye mérovingienne du 7e s., fondée en Normandie par St Philibert en 654.
[12] Eugraph Kovalevsky (1905-1970) devenu Evêque Jean de Saint-Denis (1964-1970), restaura l’ancien rite des Gaules et une année liturgique complète, de rite occidental, au sein de l’Orthodoxie, entre 1944 et 1960. Ces travaux, furent bénits par le Patriarche Serge de Moscou (notamment l’ordinaire de la liturgie, terminé de son vivant, en 1944) et St Jean de Shanghai, qui le sacra évêque.
[13]Mgr Irénée Winnaert (1880-1937), prêtre catholique-romain, rompit avec Rome en 1918, pour de graves désaccords, suivi par une partie de ses paroissiens, se tourna vers les Vieux-Catholiques et les Anglicans « libéraux », qui le sacreront évêque, mais avec lesquels il rompra rapidement, et, après une longue quête spirituelle, rencontra le P. Lev Gilet, qui lui présenta Eugraph Kovalevsky, de la Confrérie Saint-Photius. C’est lui qui plaidera sa cause auprès du Patriarche Serge de Moscou, qui comprit l’enjeu ecclésiologique de cette rencontre.
[14] Je m’y trouvais.
[15] Cela dépend de la date de Pâques : si la Pâque est tôt, elle empiète sur le pré-carême occidental.