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Nous avons rencontré plusieurs fois des difficultés pratiques concernant la communion eucharistique
(chute de saintes parcelles par terre…) et j’ai remarqué que certains d’entre vous avaient une pratique incertaine. Je voudrais donc donner quelques conseils pratiques. Mais auparavant, il peut être utile de faire un petit rappel théologique et spirituel.
– Rappel théologique et spirituel
La liturgie « eucharistique » est d’abord et avant tout une « eucharistie », c’est à dire un banquet divin, annoncé dans la parabole du Banquet céleste1 et institué par le Christ lors de la sainte Cène, puis transmis aux Apôtres et à leurs successeurs, les évêques et les prêtres (c’est-à-dire à ceux qui ont reçu le sacerdoce). C’est le Père céleste qui nous invite à ce banquet, qui est celui des noces de Son Fils avec l’Eglise (l’humanité sauvée), et Il invite tous les Chrétiens. La communion est donc le but de toute liturgie eucharistique. Il est absurde de venir à une liturgie avec l’intention délibérée de ne pas communier : il vaudrait mieux rester chez soi… Est-ce qu’on oserait dire à un ami, ou à un grand personnage, qui nous invite à un banquet : je viens, mais je ne mangerai pas ? Non, bien sûr ! Alors pourquoi faire cette injure à Dieu ?
L’eucharistie -corps et sang du Christ- est un remède divin destiné aux malades spirituels que nous sommes. Si on estime qu’on n’est pas malade, c’est à dire, qu’on est parfait, on n’en a pas besoin, car le Christ a dit : « Je suis venu pour les malades et non pour les bien-portants » (Lc 5/31).
Mais on ne vient pas à un banquet n’importe comment : on ne vient pas le ventre plein, sinon, on ne pourrait pas goûter les bonnes nourritures ni les boissons délicieuses, on se lave et on se fait beau. D’où l’utilité de faire un certain jeûne2, qu’on peut estimer, selon les usages occidentaux, à environ 6h3, d’aller se confesser si l’on a commis un péché grave (c’est cela « se laver ») et, surtout, la nécessité de revêtir le « vêtement de noces », à savoir le vêtement blanc du baptême, qui est la confession de la Divine Trinité et des deux natures du Christ, ce qui signifie s’approcher avec un cœur pur et rempli d’amour pour Dieu.
Si quelqu’un ne peut pas jeûner, qu’il m’en parle : je suis compréhensif et économe. Si quelqu’un n’a pas eu le temps de se confesser, il peut me dire un mot juste avant la liturgie ou même la communion.
Il est plus important de venir à la communion avec un coeur pur et aimant Dieu, qu’avec un ventre vide : Dieu regarde notre cœur et non notre estomac ! Les douze premières personnes de l’humanité à avoir communié, à savoir les Apôtres, l’ont fait au milieu d’un banquet -le seder pascal- où ils avaient mangé de la viande en sauce4 (l’agneau pascal), probablement des œufs4 et bu du très bon vin, et beaucoup (4 ou 5 coupes !) : ils avaient donc le ventre plein ! Et les premiers Chrétiens, voulant imiter la Cène, ont toujours célébré la Fraction du pain au cours d’agapes. Certains ecclésiastiques et zélotes purs et durs feraient bien de s’en souvenir.
– Aspects pratiques de la communion
Il faut s’approcher des mystères avec dignité et révérence. Il est d’usage de croiser ses avant-bras sur la poitrine en imitant les Séraphins, dont deux ailes voilent leur face devant Dieu, pour ne pas être brûlés par le Feu incréé de la lumière divine, ce qui est analogue au fait que les diacres croisent leur orarion (étole) avant de communier (ils représentent le monde angélique à l’autel) : comme on ne peut pas les croiser sur le visage, sinon, on ne pourrait plus avancer, on les croise un peu en dessous. Il ne faut surtout pas venir avec les mains dans les poches, ni les bras croisés dans le dos.
Il faut ensuite bien avancer la tête au-dessus du voile de communion (et non rester au bord) et même, si possible, le tenir avec les mains sous son menton, comme une serviette. Puis, bien ouvrir la bouche. Certains fidèles avancent un peu la langue, ce qui est pratique pour le prêtre, pour y déposer la sainte parcelle. Les parents de petits enfants, et surtout de bébés, doivent bien surveiller si l’enfant consomme réellement les Dons, car il arrive qu’ils les rejettent : dans ce cas, ils doivent prendre la parcelle dans la main et la consommer eux-mêmes ; il peut être alors plus pratique qu’ils viennent ensuite communier eux-mêmes. En ce qui concerne les tout-petits bébés, je donne la communion au doigt, parce qu’ils ont l’instinct de succion (j’ai découvert, longtemps après avoir
adopté cette façon de faire [sous la pression des circonstances]5 que c’était la façon normale de faire communier les bébés dans l’Eglise antique, notamment à Rome). J’ajoute que, lorsqu’un bébé ou un petit enfant ne veut absolument pas communier, on peut attendre un peu, puis ressayer, et si ce n’est pas mieux, il ne faut pas le forcer6.
Les acolytes, qui tiennent le voile de communion (rouge), doivent bien veiller à ne pas élever un côté du voile plus qu’un autre (surtout si le fidèle est grand), car si une parcelle tombe, elle terminera sa course inévitablement par terre. Le voile doit jouer le rôle d’un plateau. Il n’y a que dans les cas des bébés et des petits enfants qu’ils doivent veiller à bien mettre le voile de communion sous le menton de l’enfant, et d’attendre qu’il ait fini de consommer.
Aussitôt après avoir reçu la sainte parcelle, il faut s’essuyer la bouche au voile de communion. Après seulement, on peut baiser le calice si on le souhaite, ce qui est un usage slave, copié sur celui des prêtres, et qui n’a rien d’obligatoire7. Dans ce cas, il faut faire attention à ne faire aucun geste brusque pour ne pas renverser de précieux sang. Nous avions adopté pendant un temps l’usage slave des ablutions après la communion (boire du vin coupé d’eau chaude), mais j’ai fini par y renoncer en raison de l’agitation que cela provoquait dans un petit local. Cela n’a été maintenu que pour les chantres.
Puis on retourne à sa place pour une action de grâce intérieure, avant l’action de grâce liturgique, communautaire.
Certains répugnent à communier avec une petite cuillère liturgique, qui sert à tous. Le corps et le sang précieux du Christ ne peuvent évidemment pas transmettre une maladie. Cette gêne est d’ordre psychologique. Mais, si vous n’arrivez pas à la surmonter, je peux faire autrement (prendre directement une parcelle à la main dans le calice, ou utiliser une 2ème cuillère). Si j’avais un diacre, je pourrais donner la communion par intinction, mais, sans diacre, c’est risqué (toutefois, le P. Marc m’a dit qu’il arrivait à le faire seul, sans diacre).
P. Noël TANAZACQ
1- Parabole du Banquet céleste : Mt 22/1-14 ; Lc 14/16-24.
2- Le jeûne a aussi un sens spirituel : il signifie que Dieu est notre nourriture essentielle, première. Mais il peut être parfois excessif et devenir plus important que le sacrement lui-même. Dans les usages ascétiques de l’Orthodoxie historique, les préparations aux sacrements deviennent parfois plus importantes que l’accomplissement, c’est à dire que la participation au sacrement lui-même. En Orient, où le jeûne tient une place considérable (plus de 200 jours par an !), il est en principe interdit de boire même de l’eau. Cela est excessif, car l’eau est le seul élément indispensable à la vie physiologique et elle ne « nourrit » pas. Si vous avez besoin d’une tasse de café, de thé ou de tisane le dimanche matin pour vous réveiller, je ne vous en ferai pas grief : il vaut mieux venir à la liturgie éveillé et dispos, plutôt qu’endormi… Si vous êtes malade et prenez des médicaments, il va de soi que vous pouvez manger, mais en vous efforçant de le faire loin de la communion.
3- Cet usage introduit vers 1945 dans l’Orthodoxie occidentale pour permettre les liturgies vespérales, outil remarquable de rechristianisation de la société, a ensuite été copié dans de nombreuses paroisses « orientales » ne comportant que des Orthodoxes de souche. Je l’ai vu pratiquer dans des paroisses russes, depuis longtemps.
4- La sauce [de viande] est attestée par l’Evangile, puisque c’est en trempant du pain dans la sauce que le christ va désigner le traître, judas. Quant aux œufs, ils font toujours partie du seder pascal juif, jusqu’à ce jour.
5- J’ai vu un cas où l’enfant était tellement agité, même tenu fortement par son père, qu’il était impossible de le faire communier, sans risques. C’est alors que, étant moi-même papa, je me suis souvenu que les enfants avaient l’instinct de succion : j’ai ainsi pu faire communier un enfant dont l’agitation était pathologique. Ce n’est que longtemps après que j’ai découvert, dans mes livres, que c’était l’usage le plus ancien pour les bébés. Mais, apparemment, cet usage s’est complètement perdu.
6- J’ai vu, en Grèce, forcer des enfants à communier : la mère tenait l’enfant et le père lui ouvrait la machoire de force ! J’ai été choqué par ce comportement violent, anti-chrétien et anti-pédagogique. Ce n’était plus un sacrement, mais de la magie…
7- Les prêtres le font, après avoir communié au précieux Sang, en signe de gratitude et d’amour envers le Christ qui nous donne Son Sang. Les fidèles qui suivent les usages slaves le font, au titre de la piété personnelle, tandis que ceux qui suivent les usages helléniques s’en abstiennent. Ni nous, qui venons de l’Orthodoxie occidentale, ni nos fidèles roumains et moldaves ne connaissaient cet usage. Nous l’avons appris à la paroisse russe de Chatenay-Malabry, où j’ai fait fonction de second prêtre pendant 2 à 3 ans, avant de refonder notre paroisse actuelle.
(7 et 16 nov. 2018 ; corr. 15-12-18)