L’Orthodoxie occidentale
En réponse à un article inexact de « orthodox Wiki » sur l’ECOF reproduit dans le n°30 d’Apostolia, en p. 8 (Téléchargez ici la version PDF)
Le premier millénaire fut celui de l’Eglise indivise, qui confessait la foi orthodoxe – celle des 7 conciles œcuméniques- et avait une structure conciliaire, conformément à l’enseignement du Christ et au modèle donné dans les Actes des Apôtres. Il y avait une unité de la foi dans la diversité des rites (qui étaient nombreux, tant en Orient qu’en Occident).
La création artificielle d’un Etat pontifical, basée sur un faux((La fausse Donation de Constantin, document fabriqué de toutes pièces dans la chancellerie pontificale romaine (cf.les travaux de Ferdinand Lot).)), au 8e siècle, puis l’imposition du Filioque dans le Credo de l’Eglise par les empereurs carolingiens puis germaniques,entre la fin du 8e et le début du 11e siècle, ont conduit au schisme de 1054 divisant l’Eglise en deux blocs antagonistes, une Eglise occidentale qui deviendra progressivement l’Eglise Catholique-Romaine, après les réformes de Grégoire VII et l’introduction de la théologie scolastique((En fait, elle ne trouvera sa forme ecclésiologique définitive que 900 ans après, en 1970, au 1er concile du Vatican, qui proclamera l’Infaillibilité du pape de Rome.)), et une Eglise orientale « orthodoxe » qui demeurera fidèle au modèle apostolique.
La première guerre mondiale et l’avènement du Communisme vont bouleverser ce schéma. Des chrétiens d’Occident en rupture avec Rome pour des raisons dogmatiques vont se mettre en chemin sous la conduite du Père Louis-Charles-Irénée Winnaert (1880-1937), tandis que beaucoup d’intellectuels orthodoxe russes seront chassés de leur pays à partir des années 20 et viendront s’installer en Occident, spécialement en France. Parmi eux il y aura Eugraph Kovalevsky (1905-1970) qui fondera avec ses 2 frères (dont Maxime, l’un des plus grands compositeurs de musique sacrée orthodoxe du 20e siècle) et quelques autres jeunes la Confrérie de St Photius, en 1925, dont le but était de travailler à l’indépendance et à l’universalité de l’Orthodoxie. Dans cet esprit ils entreprirent l’étude des rites occidentaux d’avant le schisme et en particulier celle du rite des Gaules, qui était utilisé dans presque toute l’Europe occidentale avant que Charlemagne n’imposât le rite romain dans tous ses Etats, à la demande des papes de Rome. C’est la rencontre providentielle entre Mgr Irénée Winnaert (qui était devenu évêque catholique libéral en 1922) et Eugraph Kovalevsky qui posera les fondements d’une Orthodoxie occidentale, c’est-à-dire d’une communauté de fidèles confessant la foi orthodoxe, mais l’exprimant liturgiquement dans un rite occidental antérieur au schisme, d’abord le rite romain aménagé puis, à partir de 1945, le rite des Gaules restauré((Ce rite à la richesse surabondante (il est celui qui comporte le plus grand nombre de prières variables) comporte une véritable Epiclése dans la liturgie -après l’Institution, l’Anamnèse et l’Offrande- ce qui est un critère d’orthodoxie au plan sacramentel. Les rites wisigothique, ambrosien et celte appartiennent à la même famille liturgique, qui couvrait la presque totalité de l’Europe, le rite romain demeurant localisé au centre de la péninsule italienne jusqu’au 9éme siècle.)) (dont la liturgie eucharistique fut placée sous le patronage de St Germain de Paris, le grand liturge du 6e siècle). C’est le Patriarcat de Moscou qui a pris la décision audacieuse et prophétique de recevoir dans sa communion des fidèles français en acceptant qu’ils puissent célébrer dans un rite occidental, à condition que la théologie sacramentelle orthodoxe fût scrupuleusement respectée (décret du Patriarche Serge du 16 Juin 1936).
Ce mouvement a suscité beaucoup d’enthousiasme et s’est rapidement développé après la seconde guerre mondiale, parce qu’il permettait à des Occidentaux de retrouver leurs racines chrétiennes sans renier leur héritage liturgique et culturel, et qu’il était dirigé par un homme charismatique, le père Eugraph Kovalevsky,devenu le pasteur de ce troupeau après la mort de Mgr Winnaert et ordonné prêtre à ce titre, en 1937. Théologien, liturgiste et liturge exceptionnel, iconographe, il avait un don de transmission de la foi et un charisme missionnaire : conscient de la mission spirituelle qui lui incombait, confirmée par de nombreuses manifestations célestes((Notamment de la Mère de Dieu, de St Michel, Ste Radegonde, St Martin, St Séraphin de Sarov et de bien d’autres. Il avait eu la vision de la liturgie céleste pendant qu’il célébrait (en rite des Gaules).)), il avait accepté de donner sa vie pour cette œuvre ecclésiale. Mais il a aussi suscité beaucoup d’incompréhension, d’hostilité et même de haine notamment dans les milieux orthodoxes de l’émigration, qui étaient déjà très divisés pour des raisons politiques (il y avait 3 juridictions russes !) et qui voyaient d’un mauvais œil tout changement et toute ouverture sur l’Occident((On ne célébrait le rite byzantin en France qu’en slavon ou en grec ancien.)). Le Père Eugraph qui était un homme de génie et un grand spirituel, a été jalousé et calomnié toute sa vie (et sa mémoire l’est encore…), bien qu’il fût un homme humble et bienveillant, car l’œuvre qu’il accomplissait bouleversait les habitudes et suscitait de grandes jalousies, comme les hommes d’Eglise en ont le secret. Ces faits et ce contexte ont entraîné une succession de ruptures et de drames.
En 1953, alors que le Patriarcat de Moscou était prêt à créer une entité canonique occidentale (un vicariat français) et à sacrer évêque le Père Eugraph, l’envoi massif par les milieux de l’émigration russe de lettres de calomnies à Berlin (c’était l’exarque Boris de Berlin qui avait la charge des communautés d’ Europe occidentale) et à Moscou entraîna un revirement subit et complet du patriarche Alexis (un archimandrite russe fut sacré évêque à la place du Père Eugraph), qui conduisit à une rupture .
La communauté de rite occidental, qui avait pris le nom d’Eglise Orthodoxe de France, parce qu’elle avait en vue la restauration de l’antique Eglise de la France en tant qu’Eglise locale orthodoxe((Elle prendra le nom d’Eglise Catholique Orthodoxe de France (ECOF) en 1960, sur la recommandation de l’Archevêque Jean de San Francisco, pour signifier que l’Orthodoxie était par nature catholique, c’est-à-dire universelle. Si l’Orthodoxie en effet ne peut se pratiquer que dans un cadre liturgique oriental, elle renonce alors à sa catholicité pour ne plus être que l’Eglise d’Orient, c’est-à-dire la partie orientale de l’Eglise.)), fut un temps sans instance canonique supérieure((Mais elle ne fut pas la seule : ce fut le cas de l’Archevêché russe de la rue Daru pendant plusieurs années.)), tout en conservant des liens avec de grands spirituels (tels l’Archevêque Alexandre de Bruxelles – considéré comme un saint – et l’Archimandrite Venedictos de Naples).
Puis elle entra en relation avec l’Archevêque Jean de San Francisco (1896-1966) de l’Eglise Russe Hors-frontères ( qui le canonisera en 1994((Il a été canonisé en 1994 sous le nom de St Jean de Changhaï et de San Francisco,parce qu’il avait été évêque de Changhaï entre 1934 et 1949, puis évêque de San Francisco entre 1962 et 1966.IL avait aussi la responsabilité des orthodoxes d’Europe occidentale dans la juridiction de l’ERHF.))) par l’intermédiaire d’un ascète du Mont Athos qui avait eu la vision de ce dernier dans sa prière. St Jean étudia tous les textes liturgiques de l’ECOF, célébra la liturgie selon l’ancien rite des Gaules restauré, et bénit l’ensemble du rite en 1961. Et en 1964 il sacra évêque le Père Eugraph sous le nom de Jean-Nectaire de Saint-Denis((En mémoire de St Jean de Cronstadt et de St Nectaire d’Egine, qui étaient les deux derniers saints canonisés de l’Orthodoxie et qui avaient été des prophètes du renouveau de l’Orthodoxie et de sa mission en Occident.)). Les reproches qu’aurait fait St Jean de San Francisco à l’Evêque Jean de Saint-Denis pour de soi-disants « écarts canoniques » relèvent de la malveillance et des ragots de sacristie. Les deux évêques étaient dans une grande communion spirituelle (leur correspondance l’atteste) et animés du même esprit prophétique et missionnaire. Mais la jeune communauté occidentale était amenée inévitablement à pratiquer l’économie spirituelle, chère à l’Orthodoxie, car l’expérience qu’elle vivait était tellement nouvelle qu’il n’y avait pas de modèle dans l’histoire de l’Eglise : elle avait à prendre en charge de très anciens chrétiens (les français le sont depuis 2000 ans) en quête d’Orthodoxie, et non des païens ou des hétérodoxes convaincus. On ne pouvait pas leur appliquer les canons à la lettre. D’autant plus que les canons ne sont pas absolus : le Christ enseigne avec force à pratiquer « en esprit » et non pas à la lettre. Les Juifs qui l’ont condamné lui ont reproché de ne pas pratiquer la Loi… Il faut s’efforcer de bien comprendre la situation : St Jean était tiraillé entre la nécessité d’une large économie pour les français découvrant l’Orthodoxie et les reproches de ses frères évêques du Saint Synode de New York, qui étaient ultra-conservateurs. Et les lettres de dénonciations, en général calomnieuses, envoyées à New York et à San Francisco par le microcosme orthodoxe parisien, n’ont pas arrangé les choses. L’Evêque Jean s’est longuement justifié par écrit des reproches qui lui étaient faits, mais aucun de ceux qui l’ont critiqué – et le critiquent encore – n’en a tenu compte : ils préfèrent perpétuer les calomnies, sans rien vérifier. De même, la plupart de ceux qui critiquent l’ancien rite des Gaules restauré ne l’ont jamais vu célébrer, ni même jamais lu. Ils devraient plutôt se demander pourquoi ce rite nourrit tant de fidèles depuis 70 ans…
Mais un drame vint bouleverser la situation : la mort imprévisible de l’Archevêque Jean de San Francisco, le 2 juillet 1966, d’autant plus qu’il y avait à ce moment-là des troubles internes au sein du clergé de l’ECOF, qui ne sont pas à l’honneur de ceux qui les causèrent (l’histoire jugera).Cette mauvaise conjoncture entraîna une nouvelle rupture avec le Saint Synode de l’ERHF, qui voulait imposer le rite byzantin à la communauté de rite occidental((St Jean de San Francisco avait un charisme prophétique, comme beaucoup de saints. Il était soutenu par le Métropolite Anastase de New York, qui présida le Saint Synode jusqu’à sa mort, le 12 mai 1965, mais de nombreux évêques étaient en désaccord avec lui et le critiquaient. On lui reprochait même de prier trop… Le successeur d’Anastase, le métropolite Philarète, était craintif et n’avait pas la même envergure spirituelle.)).
Ces ultimes épreuves brisèrent le cœur de l’Evêque Jean. Pendant les dernières années de sa vie, il s’est efforcé d’entrer en relation avec des Eglises capables de comprendre le chemin original des Occidentaux dans l’Orthodoxie. Il trouva un interlocuteur attentif en la personne du Patriarche Justinien de Roumanie, qui l’accueillit à Bucarest en 1969 comme un chef d’Eglise. Mais les discussions n’avaient pas encore abouti lorsque l’Evêque Jean mourut, le 30 Janvier 1970. C’est son successeur, Gilles Bertrand-Hardy qui fut reçu officiellement dans la juridiction du Patriarcat de Roumanie en 1972 et qui fut sacré évêque sous le nom de Germain de Saint-Denis.
L’Evêché de rite occidental se développa beaucoup et ouvrit des paroisses dans toutes les régions françaises, ainsi que dans les pays francophones voisins, car les richesses spirituelles et liturgiques qu’il apportait correspondaient aux besoins et à l’attente de nombreux chrétiens d’Occident.
Mais les relations entre l’Evêque Germain et le Saint Synode de Roumanie se dégradèrent au fil des ans pour plusieurs raisons. D’une part, au plan local, l’hostilité permanente des Orthodoxes issus de l’émigration rendait tout rapprochement impossible (les évêques du Comité inter-épiscopal de France n’avaient même pas accepté de le recevoir). D’autre part, le statut particulier de l’ECOF et de son évêque au sein du Patriarcat roumain ne rendaient pas faciles les échanges ni la vérification spirituelle. En effet l’évêque français n’était pas réellement intégré au Saint Synode, son éparchie étant considérée comme une Eglise à part, et surtout les fidèles et le clergé français étaient exclus des discussions entre évêques. Au fond les rapports étaient plus canoniques que spirituels (mais la Roumanie était alors sous la tyrannie communiste et l’Eglise extrêmement contrainte). Au bout d’une dizaine d’années, les relations se distendirent, puis elles devinrent mauvaises. Le principal reproche qui était fait à l’évêque était sa déficience d’esprit et de pratique conciliaires ainsi que l’absence de vérification spirituelle qui en découle.
L’Evêque Germain n’ayant pas voulu tenir compte des reproches ni évoluer, le Patriarcat roumain finit par lui retirer sa bénédiction canonique en 1993, mais sans autre action canonique. La majeure partie des paroisses suivit l’évêque, mais une petite partie du clergé et des fidèles choisit de demeurer dans la communion de l’Eglise roumaine, qui ne leur imposa pas de changer de rite ni d’usages, mais leur recommanda simplement de « vivre avec leurs frères ».
Ces paroisses françaises prirent une part importante dans la restructuration de l’Archevêché Roumain d’Europe occidentale, dont le locum tenens était le Métropolite Séraphim de Berlin. Mais en 1995, le Comité inter-épiscopal de France leur imposa le rite byzantin, bien qu’elles eussent fait preuve d’exactitude ecclésiologique((Le fait de célébrer dans un rite occidental ne les avait pas empêchées d’avoir un comportement ecclésiologique juste, orthodoxe, fondé sur la communion. Mais les orthodoxes de souche, locaux, n’en ont pas tenu compte. Pour eux, on ne peut être orthodoxe qu’en suivant les usages liturgiques de l’Orient. Pourtant, il y a de nombreuses paroisses de rite occidental aux USA et en Amérique du Sud, et dans des rites divers.)), au mépris de l’économie spirituelle, sans aucune compréhension ni générosité. Cela eut pour effet, entre autres choses, de conforter les fidèles demeurés sous l’omophore de l’évêque Germain, au lieu de leur tendre la main pour qu’ils puissent retrouver la communion de l’Eglise. Cette décision inconsidérée fut un désastre pastoral. En 1998, eut lieu l’élection et le sacre de l’Archevêque Joseph. Cet archevêché fut élevé au rang de Métropole en 2001.
L’Evêché de rite occidental (ECOF) continue à vivre sous l’omophore de l’Evêque Germain, mais sans instance canonique supérieure. C’est à coup sûr une déficience canonique et ecclésiologique, mais ne signifie pas que les richesses développées par cette éparchie depuis 65 ans soient dénuées de valeur.
Cette belle et douloureuse histoire est un enseignement spirituel. Tout le monde a commis des fautes. Les Occidentaux ont été trop sûrs d’eux, pas assez obéissants, et les Orthodoxes de souche ont eu le cœur sec : ils ont eu peur du renouveau et n’ont pas eu « les entrailles généreuses », celles de l’Eglise indivise.
Mais, indépendamment des erreurs et des déficiences humaines, il faut souligner que l’Orthodoxie occidentale est une vision prophétique, qui concerne la totalité de l’Eglise, son plèrôme, car elle remet en question de facto le schisme qui déchire l’Eglise depuis 1000 ans. Or l’accomplissement des prophéties dépasse notre notion du temps, car pour Dieu « 1000 ans sont comme 1 jour » (Ps 90[89]/4).Il suffit que la semence demeure vivante, dans la « bonne terre » (Lc 8, 15)
Père Noël TANAZACQ (Paris)
Source : http://www.apostolia.eu/fr/articol_960/lorthodoxie-occidentale.html