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(Intervention dans le cadre d’une rencontre interreligieuse sur la mort((Organisée par l’association « Cieux » du 11e arrondissement de Paris, au Temple protestant du Foyer de l’Âme. Intervenaient : des Juifs, des Chrétiens (Orthodoxes, Catholiques-romains et Protestants) et des Musulmans.)), à Paris, le 11 mai 2011)
La mort ne se définit pas en soi : elle ne peut se définir que par rapport à la vie : elle est une déficience de vie, et même une déficience momentanée, provisoire. Car Dieu n’a pas créé la mort : Il n’a créé que la vie (il en est de même du mal ou du péché. Dieu ne les a pas créés : ils ne sont qu’une déficience de bien ou de grâce ; ils n’ont pas d’existence en eux-mêmes).
1. Pour pouvoir parler de la mort, il faut donc d’abord parler de la vie, et en premier lieu de l’anthropologie chrétienne : qu’est-ce que l’Homme ?
Dans le cycle biblique de la création((Il s’agit de l’ « éon » (du grec « aiôn », traduit en latin par « saeculum ») de la création, qui sera suivi de l’éon de la chute, avant l’avènement de l’éon du renouveau, celui du Royaume de Dieu.)), l’Homme est la dernière des créatures, le point ultime, l’accomplissement. Il est la seule des créatures pour laquelle la Divine Trinité se soit concertée : « Faisons l’Homme à notre image et à notre ressemblance((Genèse 1/26. Dieu est appelé « Elohim », qui est un pluriel en hébreu.La Tradition chrétienne y a vu la Divine Trinité : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.)) » disent le Père, le Fils et le Saint Esprit, et la seule qui soit appelée « image de Dieu ».
L’homme est donc un reflet de Dieu. Il a une caractéristique essentielle qui est d’avoir une nature composée : elle est à la fois cosmique et céleste, matérielle et incorporelle, visible et invisible, corps et âme. Le Fils façonne l’Homme avec de la boue (poussière du sol, humidifiée par la « vapeur » qui s’en élevait((Poussière du sol= adam, en hébreu. La « vapeur qui monte » représente le flot primordial de l’instinct de vie (Evêque Jean de Saint-Denis : Initiation à la Genèse, cours de théologie biblique, Institut St Denys,1971,p.134).))) et l’Esprit-Saint lui insuffle la vie, le souffle de vie, l’âme. L’Homme est terrestre par son corps et céleste par son âme : il réunit le Ciel et la Terre. Il est le chef-d’œuvre de Dieu. C’est pour cette raison que Dieu s’est incarné, que le Fils de Dieu est devenu Homme, parce qu’en s’unissant à l’Homme, Dieu s’unit à l’ensemble de Sa Création, Il entre en communion avec elle.
L’image de Dieu est inscrite dans les gènes de l’homme : il ne la perd jamais, mais elle peut être tragiquement amoindrie. Par contre la ressemblance suppose un effort libre de sa volonté. Ressembler, c’est se conformer à, se comporter comme Dieu. C’est pour cela que Dieu institue l’Homme « Roi de la création » : sois Mon image dans la création, comporte-toi comme Moi dans la création , aime-la et élève-la jusqu’à Moi ; conduis-la à la perfection, à la transfiguration.
Mais l’homme n’a pas voulu. Il a été tenté et séduit par le Serpent, qui représente le monde angélique déchu. Satan a la haine de l’Homme parce que ce dernier est l’image de Dieu : il est jaloux. Et l’Homme a succombé à la tentation. Il a préféré connaître les antinomies du monde créé (le bien et le mal) plutôt que de s’unir à Dieu : il a préféré le non-être à l’être. Et il en reçoit le châtiment (annoncé), qui est la mort.
- La mort est la dissociation, la séparation de l’âme et du corps, comme le dit St Jean Damascène dans son Exposé de la foi orthodoxe (8ème s.).
Lorsque l’âme se retire du corps((C’est le « passage » dont parle St Cyprien de Carthage : l’âme passe de ce monde terrestre au monde céleste ; c’est la « naissance au Ciel »)), de son corps, ce corps meurt : il cesse de vivre. Et il retourne en poussière. Tandis que l’âme fait un certain chemin, dans le monde invisible : c’est ce qu’on appelle la « destinée de l’âme après la mort ». Ce chemin peut être une élévation vers le Trône de Dieu, une stagnation, ou une chute vers l’enfer et il est largement fonction du chemin terrestre. On ne se transforme pas magiquement parce qu’on n’a plus de corps : il est même beaucoup plus difficile d’évoluer sans son corps, parce que le corps nous vérifie. Une personne qui s’est exercée à être bonne et humble sur terre, le demeure dans sa vie céleste. Mais une personne qui a été méchante et orgueilleuse sur terre, le demeure aussi dans sa vie céleste. Nos états d’âme nous suivent.
Nous en avons un beau témoignage dans l’Evangile, avec la parabole du Mauvais riche et du pauvre Lazare((Luc 16/19-31. Cf. notre article in « Apostolia »,n°43,oct.2011,p.3-7 : Le Mauvais riche et le pauvre Lazare ou la vie de l’âme après la mort.)): le Mauvais riche n’a aucun repentir d’avoir laissé Lazare mourir de faim et il demande à Abraham d’envoyer Lazare pour le rafraîchir, comme on commande à un serviteur. Il a gardé sa mentalité de riche. C’est parce que ce chemin de l’âme après la mort est difficile, que l’Eglise prie beaucoup pour les défunts, depuis les origines. La prière pour les défunts est attestée depuis le 2e siècle (célébration de la « Fraction du pain », c’est-à-dire de l’Eucharistie sur les tombes, notamment celles des martyrs). Les prières propres pour les défunts apparaissent au 3e siècle. Pour constituer ce rituel, entre le 3e et le 7e siècle, l’Eglise indivise a beaucoup emprunté à un apocryphe : le 4e livre d’Esdras. La prière des vivants est un trésor pour les défunts.
L’âme ne quitte pas instantanément le corps, car ils ont été créés l’un pour l’autre et conjointement, dans le même acte créateur. La Tradition indique que cela dure 3 jours. C’est pour cette raison que, depuis les temps anciens, on n’enterre les morts qu’à partir du 4e jour. Nous avons plusieurs témoignages de cette tradition dans l’Ecriture, dont au moins deux sont importants. Lorsque le Christ s’approche du tombeau de Lazare et demande d’en rouler la pierre, Marthe Lui dit : « Seigneur, il sent déjà, car c’est le 4e jour »((Jn 11/39)). Le corps était entré en décomposition. Et lorsque St Paul parle à Troas((Troie, dans la province romaine d’Asie.)), un jeune homme qui était assis sur le bord d’une fenêtre, au 3e étage de l’immeuble, s’endort, tombe et se tue. St Paul descend, prend le corps dans ses bras et rassure tout le monde en disant : « Ne vous troublez pas car son âme est en lui » [c’est-à-dire dans son corps]. Et il le ressuscite (Actes 20/7-12). Par ailleurs nous avons aussi le témoignage de la médecine actuelle avec les cas de « morts cliniques », qui ont été beaucoup étudiés. Il y a beaucoup de témoignages publiés et qui concordent : les personnes disent qu’elles étaient environ à 1m au-dessus de leur corps, qu’elles entendaient et voyaient tout (elles avaient leur conscience spirituelle (intérieure) mais plus leur conscience psychique (extérieure)). C’est pour cette raison qu’il faut faire très attention à ce qu’on dit à côté d’un défunt récent, car l’âme est encore proche du corps : il entend tout. Lorsque j’ai à donner l’absolution à une personne qui vient de mourir, je la lui donne comme si elle était vivante (avant le 4ème jour) : je pose mon étole sur sa tête, puis lui impose les mains et je lui demande de se repentir avant de la délier des péchés de toute sa vie terrestre.
C’est parce que l’Homme est image de Dieu et appelé à la Résurrection que l’Eglise, depuis les origines, prend un grand soin des corps qui sont, comme le dit St Paul, « temples du Saint Esprit »((1Co 6/19)) : on les asperge d’eau bénite, on les parfume d’encens, on allume des cierges (symboles de la résurrection). On célèbre sur eux des sacrements (liturgie des funérailles)((L’Occident a conservé la tradition de la liturgie des funérailles, tandis que l’Orient l’a perdue. Les saints et les grands spirituels s’accordent pour dire que la liturgie eucharistique constitue l’aide la plus précieuse pour les âmes des défunts : elle est pour eux comme une rosée céleste. La couleur liturgique pour les offices de défunts est toujours le violet, couleur de la sagesse (la bague des évêques en Occident), des préparations et du repentir. L’utilisation du noir est une décadence et une erreur spirituelle, car il symbolise l’anéantissement.)) et on les enterre : l’Eglise est absolument hostile à la crémation parce qu’il s’agit d’un feu destructeur, image symbolique du feu de l’enfer, et que la destruction violente et volontaire du corps n’aide pas l’âme à cheminer. On célèbre aussi des offices à des jours précis après la mort, dont le plus important est le 40e jour, qui est celui du jugement personnel : l’âme, après une quarantaine de préparation, paraît devant le Christ, le juste Juge. Les Chrétiens ont pris très tôt l’habitude de célébrer aussi l’anniversaire de la mort de leurs défunts en l’appelant « Dies natalis », c’est-à-dire jour de naissance [au Ciel], naissance à la vraie vie, nouvelle naissance.
Tout ce dont je viens de parler constitue la « première mort », la mort physique.
- Il y a aussi la seconde mort dont parle l’Apocalypse. Cette mort est spirituelle : il s’agit de la séparation d’avec Dieu.
Elle est appelée « mort éternelle » parce qu’elle vient après la résurrection universelle et le Jugement dernier (qui est universel), à la fin des temps. Ceux qui n’auront aucun repentir pour leurs mauvaises œuvres et qui auront donc choisi délibérément de ne pas ressembler à Dieu « seront jetés dans les ténèbres extérieures, là où il y aura des pleurs et des grincements de dents »((Mt 8/12)): c’est l’enfer éternel. Ce n’est pas un lieu géographique, mais un état spirituel: le plus éloigné possible du Créateur, et le plus proche possible du non-être.
Le feu qui brûle les réprouvés((Cf. le Mauvais riche qui dit à Abraham : «car je souffre cruellement dans cette flamme » Lc 16/24)) est le même feu que celui de la Transfiguration : c’est le feu de l’amour divin. Mais dans un cas, il est reçu et dans l’autre il est refusé. C’est pourquoi on l’appelle aussi « feu glacé ». C’est de cette mort-là que le Christ nous sauve en ressuscitant, parce qu’ « Il nous réconcilie avec Dieu »((St Paul : 2Co 5/18))et nous rouvre les portes du Paradis((Mais nous n’en sommes sauvés qu’en coopérant avec Lui, en Le suivant, en « prenant notre croix », en mourant à nos péchés afin de « vivre pour Dieu ». Ce n’est pas magique. Dieu ne nous sauve pas contre notre propre volonté.)).
Mais Sa résurrection ne nous sauve pas de la première mort, que nous devons désormais considérer comme un chemin spirituel et accepter comme une ascèse. Nous avons toutefois acquis la certitude que cette mort physique est provisoire et que le Christ l’a vaincue.
A la Résurrection universelle, chacun retrouvera son propre corps, car nous n’avons qu’un seul corps (et une seule âme). Plusieurs Pères de l’Eglise, mais surtout St Grégoire de Nysse (4e s.) et St Jean Damascène (8e s.) disent que l’âme garde l’empreinte du corps (c’est pour cela qu’il existe des fantômes((Les fantômes sont des âmes qui se manifestent sur terre sous l’apparence de leur corps, dans les lieux où ils ont vécu et qui n’arrivent pas à se détacher de la terre, en général en raison d’un drame vécu par la personne. Le Christ y fait allusion deux fois en disant à Ses disciples : « Je ne suis pas un fantôme » (lors de la tempête apaisée et lorsqu’Il apparaît à Ses disciples après Sa résurrection).))) et qu’elle a l’aptitude à reconnaître les éléments de son corps (les atomes) dans l’univers.
L’Homme (l’humanité) est jugé dans sa totalité –corps et âme- tel que Dieu l’a créé. Et c’est ainsi qu’il peut être soit déifié, soit réprouvé. La seconde mort est « éternelle » parce que l’Homme est éternellement libre : Dieu ne peut pas nous sauver contre notre volonté libre.
Mais les Pères nous enseignent que le Christ se trouve aussi dans l’Enfer et qu’Il attend avec patience et espérance que les réprouvés se convertissent, c’est-à-dire qu’ils se repentent. Nous en avons deux grands témoins, au 4e siècle (St Ephrem le Syrien) et au 20e siècle (St Silouane de l’Athos). St Ephrem dit que Dieu n’a pas d’autre solution que de livrer les cœurs endurcis au feu de l’enfer pour les amener au repentir((Dans son commentaire de l’Evangile concordant (S.C. n°121).)). St Silouane a été plongé dans l’enfer éternel pendant environ 15 ans et, au cœur de cet abîme, le Seigneur lui a fait cette révélation : « Tiens ton esprit en enfer et ne désespère pas »((St Silouane était un moine russe du Mont Athos. Cette révélation lui fut donnée vers 1906.)). Seuls le désespoir et le refus du repentir nous coupent totalement de Dieu.
La mort éternelle peut être vaincue par le repentir et l’espérance.
Père Noël TANAZACQ
Recteur
(16-11-2011 ; corr. et augm. 15-5-2015)