Chers amis en Christ,
Je vous envoie cette lettre pastorale de Carême de l’Evêque Jean, qui est un trésor spirituel. Lorsqu’elle était parue dans le bulletin paroissial de Saint-Irénée, au début du Carême de 1967, je l’avais tellement lue et relue, annotée, que je la connaissais presque par cœur.
Elle est inscrite dans mon cœur pour toujours et a changé ma vie.
J’ai entendu son contenu de la bouche même de l’évêque Jean : c’est inoubliable.
Cet enseignement n’est pas livresque ou académique : il témoigne d’une expérience spirituelle remarquable. Peu d’évêques étaient et sont capables d’écrire un texte d’une si haute élévation spirituelle.
C’est probablement pour cela qu’il a été tellement jalousé et calomnié et qu’il l’est même toujours, dans sa mémoire.
Quant à moi, je m’honore d’avoir été enseigné par un tel Père spirituel et je le bénis.
Bon Carême à tous.
Que le Saint-Esprit vous guide dans l’ « enchevêtrement » de vos âmes.
Père Noël Tanazacq
LETTRE PASTORALE DE CARÊME – Evêque Jean de Saint Denis
Le Carême est la période de pénitence.
La pénitence est le printemps de notre âme, le renouveau de notre vie.
La pénitence est totalement opposée au sentiment de scrupule, au complexe de culpabilité, à l’auto-critique mélangée d’auto-défense qui trouble notre sommeil et paralyse notre esprit.
La pénitence est vivifiante et fertile, la fausse pénitence – complexe ou scrupule – est stérile, destructive, et nous enchaîne.
Où réside la différence ? La pénitence se place en face de Dieu, les complexes en face de notre personne.
Le pénitent prie : « Seigneur, aie pitié de moi ! » ; le complexé gémit : « Comment ai-je pu faire ceci ou cela ! ».
Le pénitent est centré sur Dieu ; le scrupuleux sur son moi.
La pénitence, c’est l’amour de Dieu ; la culpabilité, c’est l’amour propre. Le pénitent s’élance vers Dieu miséricordieux et plein de bonté, il aspire au pardon et non à la justification.
La pénitence s’alimente à l’amour divin blessé.
La culpabilité, même si elle se souvient de Dieu, s’en souvient comme d’un Dieu qui pardonne difficilement ; inquiète elle refuse le pardon gratuit parce qu’incapable, en son inconscient, de se pardonner.
Comment reconnaît-on que l’amour-propre détrône l’amour de Dieu ?
Par le désir ardent de plaire, par une sensibilité aigüe de l’opinion des autres, par la souffrance intérieure devant la critique, par l’exigence d’une justice vis-à-vis de sa personne, par la sensation d’être incompris ou mal jugé, par l’exagération de ses propres fautes, par la mémoire de ses vertus et des services rendus, par la crainte d’exprimer ses vrais sentiments, par le complexe d’infériorité qui peut se transformer en agressivité, par le désir de possession, de jouissance et d’honneur.
L’amour de Dieu naît lorsque l’homme est indifférent à l’amour ou à la haine, à l’admiration ou à la critique portée à sa personne.
L’opinion des autres sur lui ne détermine pas sa sensibilité : « J’ai péché contre toi seul ». Il accepte joyeusement les injustices envers lui mais s’indignera des injustices commises envers les autres !
Il est sobre et mesuré quant à ses qualités. L’agressivité et la timidité sont étrangères à son âme. La possession, la jouissance et les honneurs ne le touchent pas outre mesure, ni ne l’obsèdent.
Afin de passer de l’amour-propre à l’amour de Dieu, du complexe de culpabilité à la pénitence, scrutons notre âme et demandons au Sauveur le pardon de tout ce qui nourrit l’idolâtrie de notre moi.
Posons-nous par exemple cette question : « Quand je souffre d’incompréhension, d’affronts, de calomnies, suis-je réellement chrétien ? » Car cette «souffrance » est un sacrifice à ma propre idole et non une oblation à Dieu. Cet état d’âme est un péché ! Sans tarder implorons le pardon divin et reconnaissons notre faiblesse devant nos frères.
La pénitence peut être personnelle ou collective. L’amour-propre peut aussi bien s’installer dans un groupe que dans une âme.
D’une part, un seul membre peut, avec une sensibilité maladive, complexer la collectivité («On me traite mal… », « Il n’y a pas de rapport entre la beauté de la doctrine et les agissements de la communauté !… », « Où est la charité chrétienne ?… ») Il devient irrécupérable si lui-même ne combat pas son propre moi ; d’autre part, la collectivité peut se croire lésée par le monde extérieur, rechercher un succès facile, l’appréciation, au lieu de poursuivre l’amour et le pardon de Dieu.
Je vous en prie, mes fils, que chacun offre sa pénitence et que tous ensemble nous fassions de même, vérifiant autant dans nos communautés, nos paroisses et nos églises si nous sommes devant Dieu ou devant le moi « haïssable », personnel ou collectif.
Extrait de « Ascèse et Pénitence » – Mars 1967 – Eugraph Kovalevsky