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Rappel des circonstances ayant amené à se poser ces questions
Il s’est passé quelque chose d’étonnant et d’intéressant le dimanche 16 novembre lors de la liturgie dans la petite chapelle de Joinville (peut-être lié à l’exiguïté des lieux) : un fidèle a demandé à se confesser avant de communier ; puis plusieurs autres sont venus, spontanément. Après, pendant notre petit pot, nous en avons discuté, et plusieurs d’entre vous ont dit qu’ils souhaiteraient qu’on rétablisse la « confession générale », qui est en fait une absolution générale. Nous sommes convenus alors de prendre le temps d’en reparler après la liturgie du 30 novembre, ce que nous avons fait, il y a 15 jours. Ce fut une discussion fort intéressante, au cours de laquelle chacun a pu donner son avis. Avant d’en faire une synthèse, je voudrais resituer ce problème dans le contexte de l’histoire de l’Eglise.
Données historiques et sacramentelles générales
Il faut d’abord savoir de quoi on parle et donc préciser le sens des termes :
– La confession consiste à avouer et reconnaître son (ou ses) péché(s), en public ou en privé, devant un prêtre ou des laïcs (par exemple un père spirituel) et à s’en repentir, c’est-à-dire à en demander pardon à Dieu. Une confession sans repentir ne sert à rien.
– L’absolution est un sacrement de remise des péchés, accompli par les prêtres (c’est-à-dire par ceux qui partagent le sacerdoce : les évêques et les prêtres) en fonction d’un pouvoir divin, qui a été transmis par le Christ au Collège apostolique le dimanche de Pâques, car « seul Dieu peut remettre les péchés ». Cette absolution est réelle, mais pas magique : elle n’est ni automatique, ni formelle. En effet, la grâce divine du pardon, qui nous est accordée gratuitement, ne peut pénétrer en nous que si notre repentir est sincère et profond, si on s’efforce de réparer les torts qu’on a faits et si on s’efforce de changer. Le pardon divin n’est pas une justification de nos péchés.
Dans l’Eglise antique (c’est-à-dire jusqu’à la fin des persécutions : les 3 premiers siècles), les deux n’étaient pas liés. Nous en avons un bel exemple dans l’Evangile : lorsque le Christ dit au paralysé de Capharnaüm, qu’on vient de descendre du toit pour qu’Il le guérisse, « tes péchés te sont remis » (Mc 2/1-2) l’homme malade n’avait rien confessé : c’était un acte gratuit de la bonté de Dieu. Mais lorsque le Seigneur guérit, gratuitement, le paralytique de Bethesda, il lui dira ensuite : « te voilà guéri : ne pèche plus de peur qu’il ne t’arrive pire encore » (Jn 5/ 1-18). La bonté de Dieu, et tout particulièrement Son Pardon, nous impose un changement, une transformation spirituelle. On n’est pas dans le juridisme, ni dans le formalisme.
Les premiers chrétiens estimaient que le baptême, qui absolvait de tous les péchés, suffisait. Et tout le monde devait communier à chaque liturgie, car le but d’un banquet est de le partager avec le Maître qui invite et avec ses convives. Mais il y eut bien sûr des chutes : pour les péchés jugés très graves (meurtre, apostasie, adultère…) et qui troublaient la communauté (on ne peut pas préjuger des péchés secrets !), les fidèles étaient exclus de la communion et devaient intégrer le groupe des « pénitents », pendant des années, et parfois toute la vie. Et souvent, il y avait des « confessions générales », c’est-à-dire en fait publiques, où les pénitents avouaient leurs fautes devant toute la communauté paroissiale et s’en repentaient.
Lorsque toute la société fut devenue chrétienne, y compris les Etats, vers le 6e s., les problèmes devinrent très différents, car au lieu de se retrouver dans de petites communautés confidentielles, où tout le monde se connaissait (les évêques, très nombreux, étaient censés connaître chaque fidèle par son prénom !), les chrétiens devinrent une énorme masse plus ou moins anonyme, dans de très grosses paroisses (il suffit de voir la taille des cathédrales anciennes, où l’on pouvait souvent rassembler une ville entière). L’Eglise a dû s’adapter.
C’est vers le 7e s. qu’est apparu le sacrement de la pénitence tel que nous le connaissons, c’est-à-dire personnel, confidentiel, et devant un prêtre, sous l’influence des moines missionnaires irlandais.
Il s’est développé et, petit à petit, sous l’influence notamment des moines, qui en Orient comme en Occident eurent de plus en plus d’importance dans le gouvernement de l’Église, il devint obligatoire.
C’est une des raisons qui, avec le jeûne eucharistique, a éloigné le peuple de la communion fréquente,
pourtant prônée constamment par les Pères de l’Église, les grands spirituels et les saints. L’Église est devenue, hélas, beaucoup plus « cléricale ».
Sautons quelques siècles et venons-en à la période contemporaine.
Les jeunes Russes de la confrérie Saint-Photius (crée en 1925), chassés de leur pays par les communistes bolchéviques, voulurent non seulement chercher dans la terre de France les racines de l’Orthodoxie occidentale, mais aussi dépoussiérer les usages de l’Orthodoxie historique et renouveler leur propre Eglise, retrouver la véritable Tradition, celle de l’Eglise indivise du 1er millénaire. Entre autres choses, ils s’efforcèrent ne plus lier automatiquement la confession à la communion et de retrouver la communion fréquente. Des milliers de paroisses orthodoxes en Europe occidentale et en Amérique du Nord leur doivent cela. Ce fut un véritable renouveau spirituel.
Le Père Eugraph (Kovalevsky, futur évêque Jean), lui, se trouva face à un problème plus difficile : la petite communauté française dont il eut la charge à partir de 1944 (après son retour de captivité en Allemagne) était composée d’anciens fidèles de Mgr Winnaert, de Français en recherche spirituelle, qui avaient abandonné toute pratique religieuse, et de quelques russes émigrés qui étaient en accord de pensée avec lui. Or, à cette époque, il y avait en Occident le même problème qu’en Orient actuellement : personne en communiait (en pire : en France on communiait une fois par an à Pâques : on « faisait ses Pâques »). Comment faire pour libérer ces gens du carcan des habitudes ? Il introduisit alors ce qu’on appelle improprement la « confession générale », mais qui est en fait une absolution générale, qui était donnée par le prêtre juste avant la prière de repentir et la communion.
Le but était de mettre en route les fidèles, pour qu’ils puissent « s’approcher sans crainte » et réapprendre à se nourrir de Dieu. Et cela a produit des fruits extraordinaires : des foules ont retrouvé une vie chrétienne. Le P. Eugraph s’était montré en la matière un digne fils spirituel de St Jean de Cronstadt (son patron dans l’épiscopat) qui fut un ardent défenseur de la communion fréquente et il fut fortement appuyé par son père dans l’épiscopat et ami spirituel, St Jean de Shanghaï, qui manifestait sa désapprobation lorsque les fidèles ne s’approchaient pas de la communion.
J’ai moi-même bénéficié de cette économie et longuement pratiqué l’absolution générale.
Mais il peut y avoir un revers à la médaille : cela peut amener à ne plus se confesser du tout, ce qui est dommageable, parce qu’on ne peut plus exprimer concrètement son repentir pour ses péchés et qu’on n’a plus de vérification spirituelle (on ne reçoit plus de conseils spirituels).
Il faut mentionner que cet usage n’est pas propre à l’Orthodoxie occidentale et qu’il est pratiqué parfois dans des paroisses orientales, en Europe occidentale et aux Etats-Unis. J’ai vu des prêtres russes donner l’absolution générale, lorsqu’arrivait à la liturgie, impromptu, un groupe de fidèles venant directement de Russie (parce qu’en Russie, il est impensable d’aller communier sans s’être confessé !). Le Père Sophrony, disciple de St Silouane (et qui a bien connu l’évêque Jean, qu’il estimait beaucoup) a écrit une prière d’absolution générale, utilisée par certains de mes confrères français.
Discussion paroissiale et propositions
Nous avons beaucoup discuté dimanche 30 novembre. Les uns et les autres ont donné leur avis. La plupart des présents ont semblé favorables. Certains ont mentionné l’aspect pratique de la chose, car nous avons, surtout actuellement, un local très petit et un seul prêtre, ce qui rend les confessions assez difficiles. Les réticences d’autres tiennent surtout au fait qu’il ne faudrait pas que cela remplace la confession personnelle des péchés, et j’y ai souscrit pleinement.
Quelqu’un a indiqué qu’il y avait une variante : venir demander l’absolution sans nécessairement se confesser, comme cela est pratiqué couramment à la paroisse de Louveciennes. Oui, pourquoi pas ? Mais finalement cela revient un peu au même, car il n’y a pas de confession personnelle et l’absolution générale a autant de valeur sacramentelle qu’une absolution personnelle. Les deux sont possibles et ne s’excluent pas mutuellement.
Pour ma part, j’ai dit que je n’étais pas contre le principe, bien que je ne la pratique plus depuis 21 ans, mais qu’il fallait bien veiller à ce que cela ne prenne pas la place de la confession et de l’absolution personnelles. J’ai donc proposé que nous fassions une expérience pour voir comment les choses se passent et quel est le ressenti des fidèles.
P. Noël TANAZACQ
(12 décembre 2014)